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"Nous osons contredire nos clients quand il le faut"

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Delen Private Bank élabore des portefeuilles diversifiés capables de résister aux turbulences des marchés. "Les gens qui ont tendance à paniquer vendent la plupart du temps au plus mauvais moment. Si vous savez que vous pouvez traverser la tempête sans trop de mal, vous ne quittez pas le navire", expliquent Paul De Winter et René Havaux, ancien et nouveau CEO du gestionnaire de patrimoine.

20190425paul-renePaul De Winter et René Havaux ©Karoly Effenberger

Le capitaine cède sa place à la barre, mais reste à bord. C’est ainsi que Paul De Winter, CEO de Delen Private Bank explique le passage de relais du 1er avril. René Havaux a repris le flambeau. De Winter, qui a dirigé pendant cinq ans le gestionnaire de patrimoine anversois, a souhaité occuper à nouveau un poste commercial. "Au lieu de tirer, je vais aider à pousser", explique-t-il lors d’un entretien mené au siège social anversois, installé provisoirement dans le bâtiment BP, situé Jan Van Rijswijcklaan.

Les visiteurs doivent faire attention à ne pas se tromper d’étage, car la division de banque privée de la firme anversoise partage la même tour de bureaux que la plus grande banque du pays, BNP Paribas Fortis, qui se retrouve entourée par le spécialiste en banque privée détenu par la famille Delen et le holding Ackermans & van Haaren. Mais cette situation est temporaire. Du dernier étage, De Winter nous montre une série de maisons de maître contiguës en cours de rénovation et qui formeront bientôt un bâtiment unique où s’installera la banque privée.

Il n’y a pas qu’à Anvers que Delen ouvre des bureaux. Cette décision s’inscrit à contre-courant de la tendance des grandes banques de détail classiques à réduire leur réseau d’agences. "Nous avons ouvert un bureau à Geel-Westerlo. La Campine est une région riche et nous y avons déjà de nombreux clients qui auparavant se déplaçaient à Anvers. Mais aujourd’hui, c’est devenu un calvaire à cause du trafic. Il faut compter deux heures de Turnhout à Anvers. Regardez les embouteillages sur le ring!", soupire De Winter. La même démarche a poussé Delen à ouvrir une toute nouvelle agence à Waterloo.

Le facteur humain joue également un rôle important dans les acquisitions, souligne René Havaux. "Lorsque vous rachetez une entreprise, vous rencontrez parfois des réticences des collaborateurs. Vous devez commencer par les convaincre avant de convaincre les clients. Lors de notre dernière acquisition, Capfi, ce ne fut pas un problème car ils avaient un profil comparable: ils offraient surtout des services de gestion discrétionnaire et étaient très centralisés. C’est un travail énorme que de convertir une entreprise qui a une approche différente de notre modèle. En cas de petite acquisition, cela représente parfois beaucoup trop d’efforts par rapport aux capitaux que vous collectez. En cas de grande acquisition, la ‘digestion’complète du projet peut demander dix ans."

Devons-nous conclure que vous n’envisagez pas de nouvelles acquisitions? La vente de SG Private Banking Belgique à ABN Amro l’an dernier a lancé une vague de consolidation…

Paul De Winter: Notre dernière acquisition, Capfi, remonte à 2007. Depuis lors, nous avons examiné des dossiers chaque année, mais nous sommes exigeants. Cela ne nous a pas empêchés d’afficher une croissance organique spectaculaire. À l’époque, nous gérions 10 milliards d’euros. Aujourd’hui, nous en sommes à 30 milliards. Nous pouvons encore continuer pendant un certain temps avec la structure actuelle. Notre part de marché est de 10%. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas passer à 15%.

René Havaux: C’est un peu comme une mayonnaise: si vous mettez trop d’huile, elle tourne. Et dans ce cas, vous pouvez tout jeter.

Quelle est la particularité du modèle de Delen Private Bank?

Havaux: Nous essayons de faire la différence par rapport aux grands acteurs en ayant des collaborateurs plus motivés que la moyenne, car c’est là que tout se joue. Pour prendre cette fois l’image du secteur pharmaceutique, où l’innovation et les nouveaux médicaments ne viendraient pas des géants, mais de petites entreprises aux équipes motivées. Si votre personnel est motivé, il sera plus fidèle. Idem pour les clients. Ces derniers ont une ligne directe avec une ou deux personnes et ils apprécient cette continuité.

Il est donc capital de fidéliser vos collaborateurs. Quelle est votre recette?

De Winter: Nous sommes une entreprise à caractère familial et notre actionnariat est stable. Tout le monde comprend que nous travaillons sur le long terme.

"Lorsque les coûts sont négociables, un jeune client réussira peut-être à obtenir une ristourne après deux heures de tractations. Mais cette baisse sera en réalité financée par une dame de 85 ans qui ne sait pas que les tarifs sont négociables. Est-ce éthique?"

Havaux: Nous sommes aussi une entreprise transparente et éthique. Et je ne parle pas ici uniquement de la composition des fonds, mais aussi de notre organisation. Chez nous, il n’y a qu’un seul tarif de gestion. Les coûts sont dégressifs en fonction du capital confié, mais ils sont les mêmes pour tous. Lorsqu’ils sont négociables, un jeune client réussira peut-être à obtenir une ristourne après deux heures de tractations. Mais cette baisse sera en réalité financée par une dame de 85 ans qui ne sait pas que les tarifs sont négociables. Est-ce éthique? J’estime que non. Notre hiérarchie est par ailleurs très plate. Les lignes sont courtes et la direction est proche des collaborateurs. Nous avons aussi des contacts avec les clients. Chez nous, c’est du ‘no non-sens’. Lorsque nous prenons une décision, nous devons aussi pouvoir l’expliquer.

N’est-ce pas difficile de conserver la même culture lorsque l’entreprise grandit?

Havaux: Notre ADN n’a pas changé au fil des ans. Lorsque nous sommes passés à 100 collaborateurs, nous nous sommes demandés si cela allait fonctionner. Aujourd’hui, nous sommes 400 et la réponse est toujours "oui". Vous devez veiller à ce que vos collaborateurs travaillent dans un environnement positif. Vous allez dire que nous sommes atypiques, mais chez nous, il n’y a pas de bonus. Lorsque vous attribuez un bonus sur base des flux entrants, le collègue assis à côté de vous devient votre ennemi, car il vise le même bonus.

De Winter: Nous sommes dans les tranchées avec les équipes. Le 27 décembre, lorsque toutes les Bourses ont reculé, nous étions nous aussi au téléphone pour répondre aux questions des clients. Les collaborateurs voient que nous sommes à leurs côtés.

Que dites-vous à un client qui s’inquiète parce que la Bourse s’écroule?

De Winter: Nous avons des statistiques sur 70 ans qui montrent qu’il est très difficile de faire mieux que les actions. D’autre part, le "buy and hold" est toujours supérieur au trading à court terme.

Havaux: Vous devez investir dans l’économie mondiale et y rester toute votre vie.

Osez-vous contredire vos clients lorsqu’ils veulent vendre malgré tout?

De Winter: Si cela les empêche de dormir, alors nous ne les retenons pas. Mais dans ce cas, on peut se demander s’ils avaient le bon profil de risque. Chez nous, il s’agit d’une centaine de clients sur 30.000. C’est peu. Havaux: Notre valeur ajoutée consiste parfois à oser contredire nos clients aux moments cruciaux. Et je ne parle pas ici d’une décision de vente que l’on reporte de deux semaines. Cela n’a aucun sens, et dans ce cas il vaut mieux vendre immédiatement. Dans les moments difficiles, nous voulons faire prendre conscience au client qu’il doit poursuivre. Vous pouvez comparer cette situation à un bateau par gros temps. Si vous savez que vous allez traverser la tempête, vous ne vous jetez pas par-dessus bord.

Vous devez avoir les bons arguments si la Bourse continue à baisser…

Havaux: Si le client veut vendre, c’est qu’il a pris un risque trop important. De nombreux clients nous rejoignent après quelques bonnes années boursières en disant qu’ils sont très dynamiques. Alors je leur dis: en 2008, dynamique était synonyme d’une perte de 23%. Si vous pouvez vivre avec cela, alors vous êtes dynamique. De Winter: Ceux qui paniquent vendent le plus souvent au pire moment. Fin de l’an dernier, entre le 26 et le 28 décembre, ce fut la Bérézina. Pour ceux qui ont vendu, il a été très difficile de racheter, car la reprise a été très rapide.

Havaux: Notre valeur ajoutée, c’est l’élaboration de portefeuilles de qualité, capables de traverser les tempêtes. Je ne serais pas à l’aise avec certains portefeuilles, car tout ne se reprend pas toujours. Demandez aux actionnaires de Fortis. De Winter: Dans un portefeuille diversifié, chaque action a une pondération de 0,6-0,8%. La plupart des investisseurs ne diversifient pas assez leurs avoirs. La famille belge aisée traditionnelle avait investi entre 10 et 15% dans Fortis, un peu dans KBC et Dexia. Avec un peu de malchance, ils étaient investis à 50% dans le secteur financier. Dans ce cas, il est très difficile de se refaire après une crise. Nous élaborons aujourd’hui pour nos clients des portefeuilles internationaux où la Belgique représente à peine 2%. C’est un changement fondamental en trente ans. Auparavant, les gens investissaient localement. Ils découpaient les coupons de Petrofina, Electrabel, d’un emprunt d’État, d’une obligation de la ville d’Anvers. Ils n’étaient pas diversifiés, mais ils pouvaient facilement suivre l’évolution de leurs actions.

En tant que groupe belge, comment suivez-vous ce qui se passe en Chine?

Havaux: Nous avons un collaborateur qui s’est spécialisé sur la Chine et qui s’y rend régulièrement. Là aussi, nous essayons de nous diversifier.

De Winter: On peut aussi se diversifier en investissant dans des entreprises comme Berkshire Hathaway, Jardine, Hutchinson, etc. qui sont elles-mêmes diversifiées et qui affichent un palmarès sur 50 ou 100 ans. Elles sont nos références dans leurs régions respectives.

Aujourd’hui, de nombreux Belges détiennent beaucoup de cash. Que leur conseillez-vous?

De Winter: De retirer le cash de leurs comptes. Les comptes d’épargne sont le plus mauvais investissement et ce sera sans doute encore le cas au cours des 10 ou 20 prochaines années. Ce cash coûte aussi de l’argent aux banques.

Havaux: À cause des taux bas, l’argent qui se trouve sur les comptes d’épargne est un gigantesque tax shift. Suite à la politique de la banque centrale, ils ne perçoivent pas 1 ou 2%, mais 0,11% d’intérêt. Cela signifie que les petits épargnants ont été privés de rentrées de 2,8 à 5,6 milliards d’euros. Où cet argent est-il passé? Chez les grands emprunteurs, qui sont généralement les États.

Craignez-vous de nouvelles taxes sur le capital après les élections?

De Winter: Nous avons pendant longtemps connu une fiscalité en baisse, mais ces dernières années, elle a pris l’autre direction. Les nouvelles mesures ne nous font pas bondir de joie mais si les choses restent en l’état, nous pourrons vivre avec. Nous demandons surtout un peu de stabilité. Pour appliquer la nouvelle taxe sur les comptes-titres, nos informaticiens ont passé des centaines d’heures pour adapter les systèmes. C’est beaucoup d’énergie pour un projet qui sera peut-être annulé dans six mois par la Cour constitutionnelle. Ce fut la même chose avec la taxe sur la spéculation et la taxe Di Rupo. Nous espérons qu’il n’y aura pas de nouvelles idées lors du contrôle budgétaire.

Source: L'Echo, dossier Private Banking du 25 avril 2019
David Adriaen

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