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Que faire si vous êtes lésé(e) lors d’une succession ?

  • 28 mai 2025
  • Juridique
  • Actualités

Cette situation peut malheureusement arriver. Au décès d’un de vos parents, vous vous rendez compte qu’il n’y a plus rien dans sa succession. En effet, à votre grande surprise, vous constatez que le solde des comptes bancaires est nul, que les coffres-forts ont été vidés et que les bijoux ont disparu. Que se passe-t-il alors ? Comment remédier ou vous prémunir d’une telle situation ?  

Au préalable, il est important de préciser que seules les personnes expressément appelées à la succession peuvent y prétendre. Être appelé(e) à une succession signifie avoir droit, en vertu de la loi ou d'un testament légalement valable, à (une partie) des biens laissés par une personne à son décès. Par conséquent, il n’est possible de faire valoir ses droits dans une succession que si l’on est héritier légal ou testamentaire. Dans le cas contraire, la loi n'offre que peu de possibilités de s'opposer au partage de la succession.  

En outre, tous les héritiers légaux ne sont pas soumis à un traitement égal. Certains d'entre eux bénéficient d'un droit successoral qui est non seulement automatique, mais également garanti. En d’autres termes, ils ont toujours droit à une part minimale, qui est protégée par la loi, dans la succession. Cette part minimale s’appelle la réserve et elle revient aux héritiers réservataires. La part restante après l'attribution de la réserve constitue la quotité disponible de la succession, celle dont une personne peut disposer librement par donation ou par testament. 

Les héritiers réservataires et leur droit garanti

Le droit belge reconnaît aujourd'hui deux catégories d'héritiers réservataires : les descendants du défunt (enfants, petits-enfants1, etc.) et le conjoint survivant. Il n'y a donc pas de réserve héréditaire pour les (grands-)parents2, les frères et sœurs ou le cohabitant (légal ou de fait) du défunt ni pour ses autres parents ou proches. 

Les enfants ont toujours droit ensemble à la moitié de la succession en pleine propriété (ou en nue-propriété si l'usufruit revient au conjoint survivant), quel que soit le nombre d'enfants3

S’agissant du conjoint survivant, la loi prévoit qu'il a toujours au moins droit à l'usufruit de la moitié de la succession. En outre, les donations et les legs ne peuvent pas avoir comme conséquence que le conjoint survivant ne puisse pas exercer son usufruit sur le logement familial4 et sur le mobilier qui s'y trouve. À noter que les cohabitants non mariés ne peuvent jamais bénéficier d'un droit successoral réservataire. 

[1] Les petits-enfants qui viennent à la succession à la place de leur parent (en cas de prédécès de ce dernier ou de renonciation à l'héritage) ne sont pris en compte pour le calcul de la réserve et de la quotité disponible qu’à concurrence de la part de l’enfant en substitution duquel ils viennent à la succession du défunt. 

[2] La réserve héréditaire des (grands-)parents a été supprimée par la loi du 31 juillet 2017. Depuis le 1er septembre 2018, en contrepartie de cette suppression, ils peuvent prétendre à une créance alimentaire à condition que le défunt n'ait pas laissé d'enfants et que ces (grands-)parents soient dans le besoin au moment du décès de leur (petit-)enfant. Toutefois, le montant de la créance alimentaire est limité pour chaque (grand-)parent qui serait dans le besoin à 1/4 de la masse à partager. 

[3] Avant la réforme du droit successoral entrée en vigueur le 1er septembre 2018, le montant de la réserve et de la quotité disponible dépendait du nombre d'enfants du défunt.

[4] C'est-à-dire le bien qui servait de résidence principale à la famille au moment de l'ouverture de la succession.

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Que se passe-t-il si vous n'obtenez pas votre réserve ?

Lorsqu'un héritier réservataire ne reçoit pas sa réserve, il peut choisir d’accepter la situation ou de s'y opposer. Cette contestation s’opère par les mécanismes du rapport et de la réduction. Ces deux techniques visent à procéder à une compensation correspondant à ce que le défunt aurait donné en trop de son vivant ou légué en trop par testament. Les enfants du défunt (ou l'un d'entre eux) peuvent saisir le tribunal après le décès pour exiger le rapport ou la réduction d'une donation ou d'un legs. Toutefois, cela ne se fait pas automatiquement. En effet, c'est à l'héritier lui-même d’entreprendre les démarches.  

L'exemple suivant illustre le fonctionnement pratique de ces mécanismes propres au droit successoral. 

Exemple : déshériter un enfant 

Prenons le cas de Pierre, veuf avec deux enfants. Son fils Nicolas a quitté le domicile parental il y a plusieurs années à la suite d'une violente dispute et n'a jamais donné signe de vie depuis ce jour. Sa fille Louise, en revanche, s'est toujours occupée de son père et l'a même hébergé lorsque son état de santé s'est dégradé. Pierre lui en est extrêmement reconnaissant et a rédigé un testament dans lequel il lui attribue toute sa succession, déshéritant ainsi intégralement son fils. À la mort de Pierre, Nicolas prend connaissance de ce testament qui le déshérite. Il se demande si son père était autorisé à le faire et, à défaut, s’il dispose de recours pour s’y opposer. 

Certes, Pierre peut, de son vivant, disposer librement de son patrimoine puisqu’il peut le consommer, voire le dilapider entièrement. Il peut même tout donner, par exemple, à sa fille Louise ou à un tiers. Tant que Pierre est en vie, son fils Nicolas ne peut s’y opposer, même en invoquant ses droits réservataires ultérieurs. En effet, ces droits ne prennent naissance qu'au moment du décès de Pierre. En revanche, après le décès de Pierre, Nicolas peut vérifier que son père n'a pas trop donné par le biais de donations de son vivant ou trop légué par testament. Car cela pourrait en effet porter atteinte à sa réserve. Dans une telle hypothèse, il peut contester ces donations ou ces dispositions testamentaires. 

Toutes les donations réalisées par un défunt de son vivant doivent être ajoutées au patrimoine qu'il possède encore au moment de son décès.

En d'autres termes, comme Pierre a deux enfants, il doit tenir compte du fait que chacun d'eux a droit à sa part réservataire, libre de toute charge, qui correspond à un quart de sa succession. Pierre peut toutefois disposer librement de l'autre moitié. Comme mentionné ci-dessus, il peut par exemple attribuer cette part par testament à sa fille Louise afin qu’elle recueille in fine les trois quarts de sa succession et que Nicolas soit limité à sa réserve d’un quart. Pierre peut également choisir de répartir sa succession différemment : il peut respecter les réserves légales et léguer la moitié restante à un tiers ou à une association caritative, par exemple. 

La masse de calcul

Bien entendu, le législateur a prévu des mécanismes pour éviter que les prétentions réservataires ne soient atteintes en raison de donations (trop) importantes réalisées par le défunt de son vivant, ce qui réduit le patrimoine initial. La réserve des enfants doit donc être calculée sur la base du patrimoine dont leur parent disposerait s’il n'avait procédé à aucune donation de son vivant. Ainsi, toutes les donations réalisées par un défunt de son vivant doivent être ajoutées au patrimoine qu'il possède encore au moment de son décès. Ce patrimoine total – appelé « masse de calcul » et précédemment « masse fictive » – sert de base pour déterminer la réserve des héritiers réservataires. 

Ainsi, pour calculer la réserve de Nicolas, il faut tenir compte de tous les biens présents dans la succession au jour du décès de Pierre, desquels on déduit ses dettes et auxquels on ajoute toutes les donations qu’il a réalisées de son vivant. Cela vaut tant pour les donations au profit de Louise que celles au profit de tiers. La conséquence est claire : Pierre ne pourra pas porter atteinte à la réserve de Nicolas en procédant, de son vivant, à une donation de son patrimoine en faveur de Louise ou d’un tiers. 
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Donation : rapportable à la succession ou par préciput et hors part ?

Imaginons que Nicolas peut prouver que Louise a reçu des donations. Comment peut-il déterminer si ces donations ont affecté sa réserve ? Cela va dépendre de la qualification juridique de ces donations. En effet, une donation à un futur héritier, comme Louise, peut être réalisée de deux manières : 

  • Si Pierre avait l'intention de traiter Louise et Nicolas sur un pied d'égalité, mais souhaitait à l’avance faire bénéficier Louise d’une part qu’elle aurait dû obtenir après son décès, la donation sera rapportable à la succession du donateur. Ainsi, Louise devra restituer à la succession de Pierre les donations rapportables qu'elle a reçues ou les imputer sur sa part dans la succession (voir ci-dessous). Elle doit donc rapporter les donations pour rétablir l'égalité avec son frère. Légalement, elle ne doit normalement le faire qu'à la demande de Nicolas, car seuls les cohéritiers ont le droit de réclamer ce rapport. 

  • En revanche, si Pierre souhaitait effectivement favoriser Louise par rapport à son frère en lui accordant une part plus importante que celle qu'elle aurait normalement dû recevoir dans sa  succession, la donation sera réalisée par préciput et hors part (également appelée donation avec dispense de rapport), rompant ainsi l'égalité entre les enfants. De telles donations doivent être imputées sur la quotité disponible au décès de Pierre, et ne sont donc possibles que dans les limites de cette quotité. S'il s'avère que les donations ont dépassé la quotité disponible, elles devront être réduites

Par conséquent, Nicolas devra surtout prendre en considération les donations par préciput et hors part, car la quotité disponible de la succession est limitée. Si celle-ci devait être dépassée, la réserve de Nicolas se trouverait ainsi affectée. Pour rétablir sa réserve comme si Louise n’avait pas été favorisée, il peut introduire une demande de réduction

Si l’avantage résulte d'une donation à Louise, celle-ci sera annulée – en tout ou en partie – et sera diminuée à concurrence de la partie qui porte atteinte à la réserve. Si l’avantage résulte d'un legs (testamentaire), ce legs devient caduc, en tout ou en partie, dans la mesure où il affecte la réserve de Nicolas.

Si vous réalisez une donation, il est essentiel de déterminer si elle est rapportable à la succession du donateur ou si elle est faite par préciput et hors part.

Si vous réalisez une donation, il est donc essentiel de déterminer d’emblée si elle est rapportable à la succession du donateur ou si elle est faite par préciput et hors part. En l'absence de précisions claires, on présume que les parents veulent traiter leurs enfants sur un pied d'égalité et qu’ils optent donc pour une donation rapportable. Cette qualification a des implications importantes pour le calcul de la réserve. 

Pour les donations à des tiers (c'est-à-dire des personnes qui ne sont pas des enfants), la question ne se pose pas. En effet, les donations à des tiers de même que les donations entre époux sont toujours faites « par préciput et hors part » et doivent toujours être imputées sur la quotité disponible. 

Méthode d’évaluation pour le rapport et la réduction

En principe, depuis le 1er septembre 2018, le rapport ainsi que la réduction ont lieu « en valeur ».  En d’autres termes, cela signifie, dans notre exemple, que Louise pourra en principe conserver le bien donné, mais devra indemniser Nicolas à concurrence de la contre-valeur de ce bien. Cette règle du rapport et de la réduction en valeur s’applique tant aux biens mobiliers (liquidités, titres, œuvres d'art...) qu’aux biens immobiliers (villa, appartement, terrain...). Nicolas pourra donc faire valoir ses droits à concurrence de la contre-valeur des donations et legs, mais il ne pourra pas exiger directement de recevoir les biens donnés ou légués. Il existe toutefois une exception puisque Louise peut décider elle-même de rapporter le bien donné en nature, dans la mesure où ce bien lui appartient toujours et qu'il est libre de toutes charges, sauf celles déjà présentes au moment de la donation. 

En vue du rapport ou de la réduction, toutes les donations, quelle que soit leur nature, doivent être valorisées uniformément sur la base de leur valeur intrinsèque au moment de la donation5. Si la donation est grevée d'une rente ou d'une autre charge, la valeur nette du bien donné – après déduction de la charge – doit être prise en compte. Pour compenser la hausse du coût de la vie lorsque des donations interviennent à des moments différents, la valeur de chaque donation doit être indexée6. Cette indexation se fait à partir de la date de la donation jusqu'au décès du donateur, sur la base de l'indice des prix à la consommation du mois du décès, l'indice de base étant celui du mois au cours duquel la donation a été effectuée.
Une exception à cette règle est applicable en présence d’une donation avec réserve d'usufruit7. Dans ce cas, la valorisation n'a pas lieu à la date de la donation, mais au moment où l'usufruit prend fin, à savoir, soit au décès du donateur, soit lorsqu'il renonce à cet usufruit. Dans ce dernier cas, cette valeur est alors indexée à partir de cette date jusqu'au décès du donateur. 

Ce dernier point est important si, par le passé, vous avez donné les actions de votre société familiale avec réserve d’usufruit. Avant 2018, la valeur des actions données était fixée au moment de la donation (sans indexation). Depuis 2018, en cas de donation avec réserve d'usufruit, les actions données sont évaluées au moment de votre décès. Par conséquent, l'enfant qui a reçu ces actions devra partager avec vos autres enfants la plus-value qu'il a générée par son propre travail entre le moment de la donation et celui de votre décès. Ils bénéficieront donc gratuitement de la plus-value réalisée par leur frère ou leur sœur. Si vous souhaitez qu'il en soit autrement et déroger ainsi à cette règle légale, vous avez intérêt à conclure, avec tous vos enfants et auprès d’un notaire, un pacte successoral ponctuel afin de fixer la valorisation des actions au jour de la donation. 

Pour les legs, le rapport et la réduction de ces derniers sont effectués en fonction de la valeur intrinsèque des biens légués au jour de l'ouverture de la succession. 

[5] Par conséquent, les efforts du donataire pour revaloriser le bien après la donation, mais aussi le risque de perte de valeur, restent au bénéfice ou à la charge du donataire. 

[6] Il n'est pas tenu compte des fruits que le bien donné a produits entre le jour de la donation et celui de votre décès, ni de l'avantage que votre enfant a tiré de la jouissance du bien pendant cette période.

[7] Et tous les autres cas où le donataire n'a pas le droit de disposer de la pleine propriété du bien donné à partir du jour de la donation.

Conclusion

Vous pensiez avoir droit à une partie de l'héritage, mais il s'avère que vous ne recevrez rien ? Il est alors important de savoir que certains héritiers – les héritiers réservataires – ne peuvent jamais être totalement déshérités en vertu de la loi. Vous avez droit à une part minimale garantie : la réserve. Cette réserve ne peut pas vous être retirée, même par le biais de donations ou d'un testament. Si vous ne recevez pas cette part successorale légale, vous disposez de plusieurs recours. En effet, la loi prévoit différents mécanismes à cette fin, comme l'action en rapport ou l’action en réduction, qui permettent de rétablir la réserve des enfants et ainsi de faire valoir leurs droits. 

Si vous craignez de vous trouver dans une telle situation, nous vous conseillons de consulter un spécialiste. Un notaire ou un avocat est mieux armé pour vous conseiller et vous guider dans vos démarches.