Bourse et économie

L'économie retrouve des couleurs estivales

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« La valeur des différents actifs financiers a augmenté : c’est une réponse rationnelle à un monde de taux d’intérêt bas » - Philip Lane, économiste en chef de la Banque centrale européenne. Ce penseur de la politique monétaire européenne a bien compris ce qui guide la valorisation des marchés d’actions : le niveau des taux d’intérêt, bien sûr couplé aux perspectives de croissance économique.

Or, aujourd’hui, les perspectives de croissance sont au plus haut – Warren Buffet parle d’une économie « chauffée à blanc » (red hot economy) – et les taux toujours très bas : -0,18 % pour le dix ans en Allemagne, 1,61 % aux États-Unis. La récente volatilité des bourses au mois de mai s’explique par la crainte des investisseurs face à un retour de l’inflation suivi d’une hausse des taux. Cette hausse, plus élevée qu’escomptée aux États-Unis en avril (+4,2 %) et liée à la réouverture des économies, rend les investisseurs nerveux.  Que se passerait-il si l'inflation continue à augmenter et que les taux d'intérêt remontent ? Selon de nombreux analystes, cette recrudescence de l’inflation serait toutefois temporaire.  Dans le même temps, les banques centrales veillent à contenir toute hausse des taux.

La vaccination en vitesse de croisière

Les campagnes de vaccination battent leur plein au niveau mondial. Au total, plus de 2 milliards de doses ont été inoculées à ce jour. La troisième vague reflue partout, sauf en Inde et en Amérique Latine. Bien que cette pandémie ait causé de nombreux maux au niveau personnel ou professionnel, dans l'ensemble, les conséquences économiques sont restées limitées. Grâce à la remarquable faculté d’adaptation des entreprises, au soutien des Etats et au meilleur calibrage des mesures restrictives de mobilité, l’impact économique de la pandémie s’est considérablement réduit. Sauf mauvaise surprise, les pays développés devraient s’acheminer vers un retour à la normale durant l’été, et la saison touristique pourrait donc être partiellement sauvée.

Cette pandémie laissera toutefois des cicatrices durables dans certains secteurs, comme le tourisme, l’hôtellerie ou le transport aérien. Elle induira certains changements fondamentaux dans l’organisation du travail et les déplacements professionnels, et susceptibles d’améliorer la productivité et les marges des entreprises. Cependant, les tensions logistiques et politiques apparues dans les chaînes d’approvisionnement internationales pourraient favoriser une tendance à la déglobalisation, tendance également encouragée par les efforts de réduction des émissions de CO2.

Et finalement une reprise en ...V

Il y a quelques mois encore, les économistes discutaient de la forme de la reprise : rapide, en forme de V, plus lente, en forme de U, voire de L… Aujourd’hui, le débat est clos : la reprise est brutale, en forme de V. La Chine et les États-Unis dépassent déjà leur niveau de 2019, l’Europe suivant avec 6 à 9 mois d’écart. La croissance mondiale est sans cesse révisée à la hausse : +6 % en 2021, +4,5 % en 2022. Les dernières estimations du FMI prévoient un déficit de croissance mondiale limité à 1 % en 2024 (différence entre ses estimations pré- et post-COVID), soit beaucoup moins que le déficit de croissance observé après la grande crise financière de 2008 (-10 %). Ce résultat remarquable n’aurait bien sûr pas été possible sans un soutien massif des États et des banques centrales. La Commission européenne vient de le reconnaître en réestimant à +1,2 % en 2021 et 2022 l’impact du plan de relance européen de 750 milliards d’euros. La croissance européenne atteindrait ainsi 4,4 % en 2021, 3,9 % en 2022. Tous les pays européens, même les plus touchés, devraient retrouver dès le printemps 2022 leur niveau d’avant-crise. 

Evolution des déficits budgétaires (2019-2022) en Europe et aux Etats-Unis
 

20210603Macro-graph-1-Be-FrSource: FMI WOE 4/2021

Des soutiens atteignant des records

Globalement, depuis douze mois, les États ont annoncé des mesures de soutien budgétaire de plus de 16 trillons de dollars (le PNB mondial s’élève à environ 85 trillons de dollars). Les mesures les plus spectaculaires sont annoncées aux États-Unis : après le plan de 900 milliards en décembre 2020, un nouveau plan de relance de 1 900 milliards de dollars a été adopté en mars 2021. On discute actuellement de plans supplémentaires de 2 300 milliards pour investir dans les infrastructures, et 1 800 milliards pour étendre la couverture sociale. Ces plans sont âprement débattus, car ils seraient financés par un relèvement des taxes des entreprises et des patrimoines.

Montants des stimuli de l’Union européenne, aux États-Unis et dans le monde (en billions de dollars)
 

 20210603Macro-graph-2-Be-FrSource: Database of fiscal policy responses to COVID-19 (IMF; 4/2021)

Ces mesures budgétaires entraînent une hausse des déficits des gouvernements, dépassant les 10 % du PNB mondial en 2020 et 2021. En 2020, le déficit aux États-Unis a atteint 15 % du PNB. Ces déficits, principalement des pays les plus avancés, ont été largement financés par leurs banques centrales via des achats d’obligations. En théorie, ceci devrait entraîner des chutes des cours des devises, mais, comme toutes les grandes zones monétaires suivent les mêmes politiques, les monnaies restent stables entre elles.

Le retour modéré de l’inflation

La reprise accélérée de 2020-2021 sera soutenue à la fois par les dépenses d’investissement des États et des entreprises, mais également par un sursaut de la consommation privée. Les consommateurs ont en effet augmenté spectaculairement leur épargne durant la pandémie : les ménages américains, traditionnellement dépensiers, ont épargné 28 % de leur revenu en mars 2021. Leur excédent d’épargne sur douze mois dépasserait les 2 000 milliards de dollars. Le relâchement des mesures restrictives de mobilité amènera un afflux de dépenses de ces consommateurs. Avec quelle conséquence sur les prix ? Warren Buffet estime que « dans une économie chauffée à blanc, les gens ont l’argent en poche et n’hésiteront pas à payer des prix plus élevés ».

La réouverture des économies, après une période de quasi-arrêt, entraîne en effet des goulets d’étranglement et des hausses de prix dans un certain nombre de secteurs liés à la production : le transport maritime, l’énergie, les matières premières. Ainsi, les prix à la production en Chine ont progressé de 6,8 % au mois d’avril. Cette inflation des prix à la production va-t-elle se traduire par une hausse durable des prix à la consommation ? Les États-Unis sont les plus exposés à ce risque, vu la robustesse de leur croissance. L’inflation a bondi de 2,6 % en mars à 4,2 % en avril, principalement en raison de mouvements cycliques (énergie, transports). L’indice hors énergie et alimentation, progresse de 1,6 % à 3 %.

Pourtant la banque centrale américaine (FED) ne s’en inquiète pas. Ms Brainard, une des gouverneures de la FED réagit : « dans la mesure où les congestions des chaînes d’approvisionnement et les autres frictions liées à la réouverture sont transitoires, elles ne sont pas susceptibles de générer une inflation persistante ». Mr Powell, président de la FED, confirme : « ces hausses ponctuelles des prix devraient n’avoir qu’un effet transitoire sur l’inflation sous-jacente, et je m’attends à ce que celle-ci retourne autour de notre objectif à moyen terme de 2 % en 2022-23. L’économie est encore loin de nos objectifs et il faudra encore du temps pour atteindre une amélioration substantielle. » En d’autres termes, la politique de soutien monétaire des banquiers centraux et de taux à court terme proches de zéro devrait encore perdurer jusqu’en 2022 voire 2023.

D’infatigables marchés financiers

Les marchés actions ont poursuivi leur progression quasi-continue en 2021 depuis leur point bas du premier trimestre 2020. Aux États-Unis, exprimés en euros, ils progressent de 12,6 % (S&P 500), de 14,9 % en Europe (Stoxx 600), de 4,6 % en Asie hors Japon (MSCI ASIA ex Japan) et de 3,4 % au Japon. L’indice mondial est en hausse de 13 % (MSCI World).

En raison des craintes d’un retour de l’inflation, les taux à long terme sont en hausse. Celle-ci reste toutefois modérée, grâce notamment à l’action des banques centrales maintenant les taux bas pour ne pas enrayer la reprise (et ne pas alourdir la charge financière des états). Les taux à 10 ans atteignent respectivement +1,6 % et -0,2 % aux États-Unis et en Allemagne (contre +0,9 % et -0,6 % en 2020).

Les matières premières sont en forte hausse : +20,6 % (indice Bloomberg Commodities), +35,6 % pour le pétrole (Brent). L'or, qui devient moins attractif lorsque les taux d'intérêt augmentent, fait du sur place en ce moment (+0,65 %).

Face au dollar US, l’euro reste stable (-0,10 %) ; il progresse par rapport au Yen (+5,9 %), mais recule devant la livre sterling (-3,6 %).

L'évolution des taux d'intérêt à 10 ans vs l'inflation en Allemagne et aux Etats-Unis
 

20210603Macro-graph-3-Be-Fr

 

Perspectives pour l’investisseur

En début d’article, nous rappelions que l’investisseur doit se préoccuper de deux choses :  l’évolution des taux d’intérêt et des résultats des entreprises. Et concernant ces derniers, nous avons de bonnes nouvelles.

Les résultats des entreprises surprennent à la hausse : au premier trimestre, ils progressent de 50 % aux États-Unis, de 122 % en Europe. Sur l’année 2021, on s’attend à des progressions respectivement de 36 % et de 45 %. Plus impressionnant encore, les sociétés américaines annoncent des rachats d’actions records pour près de 500 milliards de dollars, contre 220 milliards en 2020 et 330 milliards en 2019. Ceci démontre leur confiance dans la pérennité de leurs résultats.

La question des taux d’intérêt est plus délicate. La reprise de l’inflation, si elle devient durable, risque-t-elle d’enclencher une remontée des taux excessive, défavorable tant aux actions qu’aux obligations ? Ce risque est plus sérieux aux États-Unis qu’en Europe, en retard sur le cycle de reprise. À court terme, ce risque semble limité, vu la confiance des banquiers centraux dans le maintien de leur politique de soutien monétaire et de taux proches de zéro.

Dans la mesure où les taux restent bas, les niveaux actuels des bourses restent rationnels, comme l’indique l’économiste en chef de la BCE cité en exergue. Le rapports cours / bénéfice mondial attendu en 2021 est de 20, 22 aux États-Unis (20 si l’on retire les 10 plus grosses capitalisations) et 17 en Europe. Par rapport à des rendements obligataires à 10 ans de -0,2 % en Allemagne et de +1,6 % aux États-Unis, le rendement bénéficiaire des actions s’établit aux alentours de 5 %, ce qui est appréciable.

L’investisseur rationnel devrait donc conserver une part substantielle de ses avoirs financiers en actions , en veillant à une très large diversification géographique et sectorielle.

Un réalignement du portefeuille des actions technologiques vers les actions cycliques est opportun. La part dévolue aux actions américaines devra toutefois rester prépondérante, vu la dominance de ce marché. Parmi les 20 plus grandes entreprises mondiales en termes de capitalisation boursière nous trouvons en effet treize sociétés américaines, cinq sociétés asiatiques et une société européenne.

Les obligations conservent leur rôle défensif appréciable, en vue de stabiliser les portefeuilles en cas de volatilité des marchés actions. Des baisses significatives de cours ne sont en effet pas à exclure, notamment en cas de résurgence de la pandémie, d’augmentation des taux d’intérêt ou en raison d’événements géopolitiques inattendus.

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