Bourse et économie

Pourquoi l’économie américaine est-elle « so great » ?

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Cela fait des décennies que les États-Unis donnent le « la » dans le concert des économies de la planète, certainement depuis la Seconde Guerre mondiale et l’avènement du dollar comme réserve de change mondiale. Certes, la Chine est ambitieuse et les Américains ont aujourd'hui un redoutable adversaire à affronter. Mais les States gardent encore de très solides atouts à faire valoir.

Les entreprises technologiques américaines, pour la plupart installées dans la Silicon Valley, dominent le monde. Aujourd’hui, on parle des Magnificent Seven – Apple, Microsoft, Nvidia, Amazon, Meta, Tesla et Alphabet. Avant eux, on parlait des GAFA(M) – Google, Apple, Facebook, Amazon, (Microsoft) – et des NATU – Netflix, Airbnb, Tesla et Uber. Au fil des générations, le mythe de l’American Dream se perpétue et continue de mobiliser des millions d’entrepreneurs qui se rêvent en prochain Elon Musk, Bill Gates ou John Rockefeller.

Mais au-delà des mythes, comment expliquer rationnellement le succès de cette incroyable machine à créer de la richesse que sont les États-Unis ?

Une main d’œuvre qualifiée et productive

Si deux éléments sont indispensables à long terme pour une économie, c’est bien la quantité de main d’œuvre à sa disposition et sa productivité.

En termes de quantité, le taux de fertilité élevé de la population et le système d’immigration ouvert depuis la création du pays ont très largement contribué au formidable développement de l’économie américaine. Ce taux de fertilité est toutefois en baisse depuis 2010 et l’immigration a diminué après l’élection de Donald Trump. S’il est possible que ces tendances négatives se poursuivent ou s’accentuent, le nombre d’Américains en âge de travailler (25-64 ans) a tout de même cru de 38 % depuis 1990 contre une hausse de 9 % seulement en Europe sur la même période.

Côté productivité, les Américains ne sont pas en reste : selon le think tank Conference Board, la productivité de la main d’œuvre américaine a grimpé de 67 % depuis 1990 contre + 55 % en Europe et + 51 % au Japon. Les Américains travaillent en moyenne 200 heures par an de plus que les Européens (mais 500 heures de moins que les Chinois).

Aux États-Unis, la productivité a augmenté de 67 % depuis 1990. Dans le même temps, elle ne progressait que de 55 % en Europe et de 51 % au Japon.

Les investissements et les progrès technologiques génèrent d’énormes gains de productivité. En effet, la révolution technologique du milieu des années 1990 au milieu des années 2000 a non seulement permis à la productivité des entreprises américaines de croître de plus de 3 % par an durant cette décennie (contre + 2 % en Europe), mais ses applications ont par la suite permis une deuxième vague de gains de productivité. Depuis lors, la croissance de la productivité américaine est retombée à sa moyenne à long terme d'environ 1,5 %. Mais elle reste plus rapide que dans la plupart des autres pays riches, toujours tirée par le secteur technologique.

La main d’œuvre américaine est globalement aussi très qualifiée. Le pays dépense 37 % de plus par élève que la moyenne des pays de l’OCDE, et même le double sur le seul segment des études post-secondaires. Avec de solides résultats à la clé puisque non seulement 34 % des Américains décrochent un diplôme après les secondaires (seul Singapour fait mieux) mais 11 des 15 meilleures universités du monde se trouvent aux États-Unis, selon le classement de Times Higher Education. Et l’économie en fait très bon usage : les dépenses en R&D (tant privées que publiques) sont loin devant la plupart des autres pays, ce qui se traduit en bout de course par une part de 22 % dans le total des brevets enregistrés dans le monde en 2021.

Yale University
Yale University

Mobilité de la main d’œuvre et du capital

Le dynamisme du marché du travail américain s’explique aussi par la forte mobilité de sa main d’œuvre. Un(e) Américain(e) sur quatre a déménagé dans une autre ville ou une autre région du pays au cours des 5 dernières années pour saisir une nouvelle opportunité professionnelle. Dans les autres pays développés, cette proportion n’est que d’un travailleur sur dix. Et pas moins de 5 millions d’Américains se déplacent vers un autre État du pays chaque année, en particulier parmi les plus diplômés.

Une fluidité qui caractérise aussi le marché des capitaux, l’un des plus efficaces et mobilisables au monde. La capitalisation boursière des entreprises cotées du pays pèse pas moins de 170 % du PIB alors qu’on est sous les 100 % dans la plupart des autres pays développés. Et les sociétés de capital-risque ne s’y trompent pas puisque la moitié d’entre elles vont s’installer aux États-Unis.

La moitié des sociétés de capital-risque vont s’installer aux États-Unis

La propension des Américains à se lancer dans un nouveau business est d’ailleurs impressionnante. En effet, pas moins de 5,4 millions d’entreprises sont nées en 2021 après le confinement, un record historique. Il faut dire que de tous les pays de l’OCDE, c’est aux États-Unis et au Canada que le coût d’une faillite pour un entrepreneur est le moins élevé.

En matière de gestion, les Américains sont aussi particulièrement forts. Selon une étude de Stanford, la moitié de l’avance des États-Unis sur les autres pays en termes de productivité proviendrait de l’efficacité de ses managers, qui serait selon eux la plus élevée au monde. D’après les chercheurs, cette particularité s’expliquerait par la compétition féroce qui sévit aux États-Unis et l’absence d’état d’âme des patrons à licencier leurs employés (ce que leur permet aisément la législation). Les primes élevées et les rémunérations des managers basées sur les performances contribuent aussi à ces bons résultats.

États unis au sens propre

La taille du marché unique américain est un autre atout majeur de l’économie du pays. Malgré toute la bonne volonté politique, le marché unique européen est a contrario resté relativement morcelé du fait de barrières administratives, linguistiques et culturelles qui entravent la marche des affaires et le développement des entreprises au niveau international. Le marché américain est non seulement beaucoup plus intégré, mais il peut en outre compter sur le soft power américain (son influence culturelle, y compris à travers les entreprises) pour imposer ses modèles dans le monde entier.

Enfin, l’étendue physique du territoire américain est une bénédiction pour son économie, en particulier sur le plan des ressources géologiques. Après avoir été irrigués dès la fin du XIXe siècle par les premiers gisements de pétrole, les États-Unis sont (re)devenus exportateurs nets de gaz et de pétrole au tournant des années 2020 avec l’introduction de la fragmentation hydraulique. Le pays a ainsi pu diversifier davantage son économie et la rendre plus résiliente et moins dépendante au charbon (ce qui lui a paradoxalement permis de diminuer ses émissions de gaz à effet de serre… au détriment des nappes phréatiques).

jumpjack

In God we trust

Mais l’économie américaine n’est-elle pas irriguée par des racines plus profondes encore ? Le lien entre protestantisme et capitalisme a été mis en évidence, de façon à la fois empirique et théorique, dès le début du XXe siècle par le philosophe et fondateur de la sociologie moderne Max Weber. Dans « L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (1904-1905), il suggère que c’est l’ethos protestant, et plus spécifiquement puritain, qui permettra le développement du capitalisme à partir du 18e siècle, considérant le travail, l’investissement et la recherche du profit maximal comme une fin noble en soi (contrairement au catholicisme, qui la condamnait).

L'éthique protestante saluait le travail, l'investissement et la recherche du profit maximal. 

Or les immigrés d’obédience protestante (dans ses différents courants) ont grossi les rangs de la population américaine jusqu’à en faire le courant religieux majoritaire. Leurs descendants auraient façonné une conscience collective beaucoup plus à l’aise avec les questions d’argent que partout ailleurs dans le monde et selon laquelle revenus et fortune sont autant de signes irréfutables de réussite sociale.

Quelques chiffres sur l’économie américaine

L’Amérique veut rester la plus grande, mais elle va devoir se battre pour cela. Mesurée en termes de PIB (en dollars), l’économie américaine est toujours la plus importante au monde. Mais si l’on prend le critère du PIB à parité de pouvoir d’achat (une mesure plus pertinente que le seul PIB car elle prend en compte la différence de coût des biens et des services entre chaque pays), le podium prend une autre allure : la part des États-Unis dans la production des richesses mondiales n’est alors que de 15,39 % contre 18,92 % pour la Chine, selon les chiffres du FMI.

PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA)

PIB à parité de pouvoir d’achat (PPA)

Source : FMI

Quant au revenu moyen ramené par habitant , il est 30 % plus élevé aux États-Unis qu’en Europe. Seuls quelques pays font mieux, comme la richissime monarchie pétrolière du Qatar ou le Luxembourg.

Un pouvoir d’achat auquel la croissance des marchés boursiers n’est pas étrangère : sur ces 100 dernières années, le marché des actions américain a délivré un rendement annuel moyen de 9,5 % (en dollars).

Des ombres sur le drapeau étoilé

Tout n’est pas rose cependant au pays de l’oncle Sam. Les tensions actuelles sur le marché du travail américain – qui se résorbent graduellement – ne doivent pas faire oublier que le pays compte actuellement 6 millions de chômeurs même si 9,5 millions de postes sont à pourvoir. Ces tensions sont en réalité dues au vieillissement de la population, à la réduction de l’immigration et à la surmortalité en 2020-2021. Le fait que de nombreux Américains, en particulier parmi les boomers financièrement plus aisés, ont profité de la pause du confinement pour prendre une retraite anticipée contribue également à ces tensions.

Les inégalités de revenus aux États-Unis sont par ailleurs les plus grandes de tous les pays du G7 et le way of life américain pèse aussi lourdement sur l’espérance de vie, qui ne dépasse pas 77 ans, soit 5 ans de moins que dans les autres pays développés. Cela s'explique notamment par la violence, le mode de vie et l’accès réduit aux soins de santé pour les moins aisés (malgré les réformes sous l’administration Obama). Autant d'éléments qui exacerbent la polarisation de la société américaine.

L’espérance de vie aux États-Unis s’élève à 77 ans, soit 5 ans de moins que dans les autres pays développés.

Une polarisation qui n’a cessé de s’accroître ces dernières années avec, en point d’orgue, l’élection de Donald Trump qui a renvoyé dos à dos les « inclus » et les « exclus » de la société américaine. Cette élection a engendré un revirement doctrinal complet en matière de politique étrangère et de protectionnisme (que la présidence de Joe Biden n’a pas tout à fait effacé). Par la suite, elle a même fait trembler la démocratie américaine sur ses bases avec la « prise » du Capitole.

Enfin, après S&P dès 2011, l’agence Fitch vient de retirer au gouvernement américain la plus haute note attribuée à un pays (la faisant passer de AAA à AA+) du fait de ses difficultés fiscales, des risques de blocage politique et du problème du plafond de la dette qui a refait surface en mai-juin. Le pays continuant d'émettre de la dette, son ratio d'endettement augmente à nouveau sérieusement et son déficit budgétaire croissant (du fait de recettes moindres, de dépenses plus élevées et de coûts d’emprunt alourdis par la hausse des taux) pourrait affecter son économie. Les taux d'intérêt à long terme ont déjà assez fortement augmenté à la suite de l'annonce de l'abaissement de la note de Fitch. À noter cependant que l’agence de notation n’attribue plus le score « AAA » qu’à 9 pays (Norvège, Suède, Danemark, Pays-Bas, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Singapour et Australie).

En conclusion

L’économie américaine dispose de puissants leviers structurels pour continuer à jouer les leaders mondiaux et à afficher une solide performance, en particulier grâce à sa force d’innovation mais aussi la qualité de sa main d’œuvre et son esprit d’entreprise. La forte consommation des Américains, grâce à un pouvoir d’achat élevé, est une autre raison qui a conforté la conviction de Cadelam à l'égard des entreprises américaines.

Cette conviction forte a poussé, il y a quelques années, le gestionnaire de fonds de Delen Private Bank à investir une partie importante des portefeuilles dans des entreprises américaines leaders dans leur domaine. À cet égard, l'innovation technologique constitue un de ses principaux thèmes d’investissement à long terme, domaine dans lequel les États-Unis excellent. Il en résulte une forte exposition à la technologie américaine (71 % du portefeuille technologique est composé de sociétés américaines), sur la base d’une sélection rigoureuse des valeurs.

Cela n’enlève rien au fait que les gestionnaires restent vigilants face aux défis politiques et sociétaux importants auxquels les États-Unis sont confrontés. Comme toujours, ces questions font l'objet d'un suivi attentif.

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