Expertise - Macro

Que coûte une guerre commerciale ?

  • 28 mai 2025
  • Bourse et économie
  • Actualités

Les 100 premiers jours du second mandat de Donald Trump ont été marqués par des tensions. Sa politique tarifaire, aussi imprévisible qu'arbitraire, a plongé le monde politique et financier dans un chaos sans précédent, ce qui a rendu les marchés boursiers très nerveux. Les analystes craignent que la politique de Trump entraîne l'économie américaine dans la récession (‘Trumpcession’) et relance l'inflation – qui est en train de baisser, mais reste encore trop élevée.

Les vives réactions des marchés boursiers et des chefs d'entreprise inquiets ont fait quelque peu reculer le président Trump. Il a d'abord annoncé un sursis général de trois mois, et il est maintenant prêt à négocier des accords bilatéraux : il a déjà conclu un accord commercial avec le Royaume-Uni et supprimé une partie des droits de douane sur les importations chinoises. Les négociations avec l'Union européenne avancent, quant à elles, moins bien. Pas plus tard que la semaine dernière, le Président a menacé d'appliquer des taxes à l'importation de 50 %, mais un coup de téléphone aura suffi pour qu'il reporte leur mise en application au mois de juillet.

Nous vous proposons un résumé du dernier trimestre à l'aide de quelques graphiques.

La crainte d’une récession ressurgit, mais l'économie américaine résiste 

Que coûte cette guerre commerciale en termes de croissance économique ? Les droits de douane mettent à mal les chaînes d'approvisionnement existantes, et de plus en plus d'éléments indiquent qu'ils pèsent sur la confiance des consommateurs et des entreprises. Le climat actuel d’incertitude quant aux détails pratiques de la politique tarifaire est tout aussi dommageable. Tout le monde est sur ses gardes : les entreprises reportent leurs décisions stratégiques et, de la même manière, les investissements sont également postposés. Dans le courant du mois d'avril, les économistes ont de plus en plus envisagé un scénario de récession, ce qui a provoqué de fortes turbulences sur les marchés boursiers – les actions et les obligations ont accusé un sévère repli, de même que le pétrole et le dollar.

La probabilité de récession a augmenté aux États-Unis

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  • États-Unis
  • Europe
  • Japon
  • Chine

Source : Bloomberg

Quel soulagement de constater que le PIB américain (produit intérieur brut), à savoir l’indicateur qui reflète l'activité économique d'un pays, était encore étonnamment bon au premier trimestre. La croissance s’est avérée légèrement négative par rapport au trimestre précédent en raison de la forte augmentation des importations, mais la consommation des ménages et les investissements des entreprises se sont toutefois bien maintenus. Ce fut plutôt une bonne surprise, compte tenu de la détérioration du moral des consommateurs et des entreprises.

Jusque là, tout va bien, le premier trimestre est déjà derrière nous. Ce sont surtout les évolutions au cours des prochains mois qui intéressent les investisseurs. Les droits de douane ayant été annoncés en avril, leur impact ne se fera sentir qu'au cours des mois suivants. De la même manière, les économies réalisées dans le secteur public et les effets de la politique migratoire restrictive de Trump ne sont pas encore entièrement pris en compte dans les chiffres de la croissance du premier trimestre. Quoi qu'il en soit, le FMI a déjà ajusté ses prévisions de croissance pour 2025 et 2026 pour les économies américaine, chinoise et européenne (dans une moindre mesure). À un peu plus long terme, les réductions d'impôts et la dérégulation prônées par Trump devraient avoir un effet positif sur l'économie.

Enfin, relativisons un peu et souvenons-nous que Trump n’en est pas à son coup d’essai. En effet, il a déjà été à l'origine d'une guerre commerciale, lors de son premier mandat. Il visait alors principalement la Chine, mais, tout comme aujourd'hui, il a progressivement atténué de nombreuses mesures lorsqu'elles se sont avérées négatives pour les entreprises et les investisseurs américains. Actuellement, les négociations avec les principaux partenaires commerciaux des États-Unis battent leur plein. Espérons qu'elles débouchent sur des accords acceptables dans les prochaines semaines. 

La banque centrale américaine ne prendra pas de décision hâtive

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  • Taux directeurs américains
  • Inflation américaine

Source : Eurostat, Bureau of Labor Statistics, Bloomberg

En pleine agitation et confusion, les regards se sont tournés plus d'une fois vers la Fed, la banque centrale américaine. Son président, Jerome Powell, se précipiterait-il à la rescousse des marchés boursiers si la crise venait à s'aggraver ? Les investisseurs ont poussé un cri d’alarme lorsque le chaos tarifaire a également contaminé les marchés obligataires – traditionnellement considérés comme valeurs refuges en période d'incertitude. Grâce à une chute brutale du dollar et une hausse spectaculaire du taux américain à 10 ans, le président Trump a compris le message et annoncé un report de 90 jours de l’application des droits de douane sur les importations.

La banque centrale américaine reste toutefois extrêmement vigilante et se concentre sur ses deux objectifs : maintenir l'inflation autour de 2 % et maximiser l’emploi. Pour ce faire, elle suit de très près l'évolution de l’inflation et du marché du travail (croissance des salaires, création d’emplois, chômage et licenciements).

Les signaux sur le marché du travail sont complexes et parfois contradictoires, mais dans l'ensemble, la situation est assez favorable : la croissance des salaires et le taux de chômage se stabilisent à des niveaux acceptables. L'inflation, quant à elle, évolue dans la bonne direction, mais reste trop élevée. Aussi, les pressions inflationnistes risquent de s'intensifier, puisque les taxes à l’importation seront répercutées sur les consommateurs finaux. Par conséquent, les consommateurs ont revu à la hausse leurs attentes en matière d'inflation. Le commentaire du Président américain selon lequel « une poupée coûtera un peu plus cher à Noël que lors des années précédentes » y est sans doute pour quelque chose.

La stabilité du marché du travail et le chiffre étonnamment rassurant du PIB américain au premier trimestre ont permis à Jerome Powell de laisser les taux directeurs inchangés, bien qu'il ait souligné que le risque de hausse du chômage et de l'inflation avait augmenté.

La Fed a besoin de davantage de « données concrètes » avant de modifier sa politique de taux d'intérêt. Elle mettra ainsi constamment en balance l’inflation et la croissance économique. Dans la mesure où l'économie se maintient, la Fed peut continuer à agir contre l'inflation. À l'inverse, si les droits de douane commencent à peser sur la croissance économique, l'inflation pourrait s'en trouver ralentie. L'incertitude est grande et les attentes des marchés divergent fortement. Pour preuve, même si la moyenne tourne autour de 2 baisses de taux, elle cache une grande disparité dans les prévisions allant de 0 à 5 baisses cette année. En Europe, la BCE devrait réduire ses taux directeurs encore à deux reprises, pour les ramener à 1,75 %.

Le niveau des taux d'intérêt est d'autant plus important que les États-Unis affichent une dette publique colossale, qui ne fera qu'augmenter avec le vaste projet de loi budgétaire ('Big and Beautiful Bill') du Président. Les économies prévues sont en effet loin d’être suffisantes pour compenser les baisses d’impôts, ce qui fait douter le marché. Même si, pour l’instant, seules les obligations à très long terme sont sous pression.

Des résultats d'entreprise solides, mais des perspectives incertaines

L'augmentation des droits de douane se fera également sentir au niveau des entreprises. En effet, elles doivent ajuster leurs chaînes d'approvisionnement et adoptent une approche attentiste pour leurs investissements majeurs en raison de l'incertitude tarifaire. Les prévisions de bénéfices pour 2025 et 2026 ont été légèrement adaptées au cours des dernières semaines, même si l’exercice de prévision est particulièrement compliqué pour les analystes dans le contexte actuel. La saison des résultats, qui touche à sa fin, a permis aux chefs d'entreprise de s’exprimer sur l'impact des tarifs douaniers sur leur chiffre d’affaires et leurs marges.

De nombreuses entreprises ont publié des chiffres supérieurs aux attentes pour le trimestre écoulé. 77 % des 477 sociétés du S&P500 qui ont publié leurs résultats ont dépassé les attentes des analystes. Au sein des fameux « Magnificent 7 » (les sept plus grandes valeurs technologiques américaines), les chiffres de Alphabet, Meta et Microsoft, entre autres, se sont avérés largement meilleurs que prévu. Mais sur les perspectives pour le reste de l'année, la plupart des analystes sont restés très vagues.

Les prévisions de bénéfices des entreprises du S&P 500 sont légèrement revues à la baisse

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  • Prévisions pour 2024
  • Prévisions pour 2025
  • Prévisions pour 2026

Source : Bloomberg

Comme toujours, on observe des disparités entre les différents secteurs. Les grandes entreprises industrielles risquent de souffrir de la baisse des investissements, entre autres. Les producteurs d’automobiles et d'acier doivent revoir leurs stratégies afin de faire face aux nouvelles mesures tarifaires. En revanche, pour les secteurs plus défensifs tels que les services d’utilité publique, le choc ne sera probablement pas si important.

C'est pourquoi Delen Private Bank et son gestionnaire de fonds, Cadelam, restent fidèles à leur approche thématique : pour les entreprises qui proposent des solutions innovantes aux tendances structurelles, qui affichent des bilans solides et qui sont leaders sur leur marché, les perspectives de bénéfices à long terme restent intactes. Les entreprises de qualité actives dans la transition énergétique, l'innovation technologique, le commerce électronique, le vieillissement, la classe moyenne asiatique et les biens de consommation de base sont susceptibles de bien résister à cette période de turbulences et d'incertitudes. Elles l'ont d’ailleurs prouvé lors de la première guerre commerciale en 2018.

Les craintes de récession se répercutent sur les prix du pétrole

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  • Brent (EUR)

Source : Bloomberg

Les nouvelles taxes à l'importation ont mis des bâtons dans les roues de l'économie américaine et, par extension, de l'économie chinoise. Les analystes commencent dès lors à s'inquiéter sérieusement de la future demande de pétrole émanant des deux superpuissances économiques. Ces craintes croissantes de ralentissement économique se sont immédiatement traduites par une baisse des prix du pétrole.

Autres mauvaises nouvelles pour les investisseurs pétroliers : la transition de la Chine vers l'électrification freine également la demande de pétrole et l'OPEP, l'organisation des pays exportateurs de pétrole, a dans le même temps augmenté sa production de pétrole.

Ces trois facteurs ont provoqué une chute brutale des prix du pétrole. Pour la première fois en quatre ans, son prix est inférieur à 60 dollars le baril, un niveau auquel il n'est plus intéressant pour certaines entreprises américaines d’extraire du pétrole. Cela contraste fortement avec la promesse électorale de Donald Trump – ‘drill, baby, drill’ – de relancer la production pétrolière aux États-Unis. Cela n'empêche toutefois pas le Président de voir le côté positif de cette situation, à savoir que la baisse du prix du pétrole tempère l'inflation.

Pourquoi l'Amérique est-elle au centre de l'attention ?

Les États-Unis dominent l’économie et la politique à l’échelle mondiale. Depuis le début du second mandat de Trump, ils imposent aussi le chaos et la confusion. Leur suprématie se reflète dans leur part de l'économie mondiale (plus de 26 % du PIB mondial) et de l'indice boursier mondial (près de 63 % du MSCI All Countries). En toute logique, ils occupent une place importante dans les portefeuilles d'actions des investisseurs du monde entier.

Poids des États-Unis : indice boursier mondial versus PIB mondial

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  • États-Unis
  • Inde
  • Suisse
  • Chine
  • Canada
  • Japon
  • Royaume-Uni
  • France
  • Allemagne

Source : Financial Times

Lorsque la politique économique d’un tel acteur dominant perd en stabilité, en prévisibilité et peut-être même en rationalité, cela crée inévitablement de fortes turbulences, tant à Wall Street qu'à Main Street – autrement dit, tant sur les bourses que dans l’économie réelle. La perception du risque liée à cette puissance mondiale se détériore. La question de savoir dans quelle mesure un portefeuille équilibré peut être exposé aux États-Unis dans de telles circonstances est légitime. Depuis peu, on observe une détérioration d’un certain nombre de 'soft data' (ou données qualitatives), telles que la confiance des consommateurs et des entreprises, ce qui doit être surveillé de près.

Cependant, il ne faut pas noircir le tableau outre mesure. Les 'hard data' (ou données quantitatives concrètes), telles que le PIB, le marché du travail et certainement les bénéfices plus élevés que prévu des entreprises américaines, indiquent que les entreprises et les ménages résistent bien. Des avantages structurels, comme l'esprit d'entreprise, l'appétit pour le risque et une réglementation moins stricte, ont permis aux acteurs américains de se classer au rang des plus performants de leur secteur, tant en termes d'innovation que de solidité et de rentabilité. Même si ce n’est pas impossible, il semble toutefois peu probable qu’un seul homme parvienne à balayer d’un seul coup ces atouts profondément ancrés. 

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