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Prélude au patrimoine artistique de Dirk Brossé

  • 26 novembre 2025
  • Inspired
Cet article fait partie de notre magazine Delen Inspired, volume 5.

Il a consacré toute sa vie à la musique. Aujourd’hui, à soixante-cinq ans, Dirk Brossé ressent de plus en plus le désir de rendre ses compositions intemporelles. Mais comment préserver un patrimoine composé de sonorités éphémères ? Comment inscrire son œuvre dans l’éternité ? 

Pouvoir rencontrer Dirk Brossé en cette année chargée, rythmée par des concerts, de nouveaux albums et des interviews, relève presque du miracle. Il nous accueille chez lui, dans son studio. « Vous entendez ce silence ? C’est ici que tout commence, que ma musique prend vie. Bienvenue dans mon sanctuaire. » 

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À la recherche de son public

Dans ce sanctuaire, il travaille sans relâche depuis quarante ans. Dirk Brossé a écrit quelque 1850 compositions, allant de musiques de film et de comédies musicales à des symphonies, souvent primées à l’international. Il a enregistré plus de 200 albums, dirigé 120 orchestres et collaboré avec de grands noms comme John Williams, le compositeur de Star Wars.

Et pourtant, rien ne prédestinait Dirk Brossé à devenir musicien professionnel. « Je ne viens pas du milieu de la musique, nous n’avions même pas de tourne-disque à la maison. À six ans, j’ai demandé à Saint-Nicolas un mélodica et un accordéon. Quand j’ai vu à la télévision un garçon de mon âge jouer Il Silenzio, ce fut le déclic. Mais des années plus tard, au cours de composition, je me suis heurté à un mur : le professeur voulait m’orienter vers la musique atonale, alors que je voulais créer des compositions qui racontent une histoire. Je ne me sentais pas à ma place, donc je suis parti. Comme disait récemment Philip Glass à de jeunes compositeurs : Go and find your audience. C’est exactement ce que j’ai fait. » 

La musique comme messagère

Et Dirk Brossé a bel et bien trouvé son public. Sa musique pour le cinéma, les comédies musicales et la télévision a été saluée tant en Belgique qu’à l’étranger. Il est devenu un artiste polyvalent, capable de dépasser les frontières musicales grâce à des collaborations audacieuses pour Tomorrowland ou Stromae.

Mais cela ne lui suffisait pas. « J’adore la musique de film, mais elle ne me permet pas d’exprimer de message sociétal. C’est pourquoi je compose aussi ma propre musique – sur ce qui me touche, ce qui se passe dans le monde. En le mettant en musique, le message reste gravé. On ferme les yeux, on ressent les vibrations. L’émotion – la tendresse, la détresse, l’horreur – peut être captée, partagée et transmise, alors que l’actualité est déjà retombée. »

Remplaçant de John Williams

Dirk Brossé est aussi un chef d’orchestre très demandé. Il a dirigé 3 500 concerts avec des orchestres de renommée mondiale. Le plus mémorable ? « En 2010, j’ai reçu un appel : John Williams était malade. On m’a demandé de le remplacer le surlendemain pour diriger son Star Wars In Concert avec le London Symphony Orchestra au Royal Albert Hall. Le concert était diffusé en direct sur BBC Radio, pendant qu’il l’écoutait depuis son lit. Inoubliable. » 

À la question de savoir s’il préfère composer ou diriger, sa réponse est sans équivoque. « Composer, bien sûr. En tant que chef d’orchestre, vous êtes au service du compositeur, et c’est très éphémère : après le concert, il y a les applaudissements, puis tout est terminé. Une composition fait partie de vous, elle est éternelle d’une certaine manière. »

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Faire entendre les partitions

Dirk Brossé réfléchit depuis longtemps à la finitude de la vie. Fils d’un entrepreneur de pompes funèbres, cela lui semble évident. « J’ai vu ce que cela provoque quand rien n’est prévu. » La préparation de sa succession repose sur trois piliers : enregistrer ses compositions, créer une fondation et préserver sa collection d’instruments. 

« Ma musique n’existe que si elle est enregistrée », reconnaît Dirk Brossé. « Je veux donc faire entendre mes partitions. Cela demande de l’organisation comme recruter des musiciens, des solistes et des orchestres, et louer des studios. »

« Les enregistrements des œuvres commandées, comme les comédies musicales 14-18 ou Daens, et le documentaire Notre Nature, sont financés par les commanditaires. Pour mes compositions personnelles, je démarche moi-même les interprètes. Je finance autant que possible les petits ensembles. Pour les plus grands, c’est une quête permanente de financements. Il faut pouvoir mener de bonnes négociations et connaître les rouages du monde musical. Et je tends la main à toutes les personnes qui souhaitent préserver le patrimoine musical belge. »

« Oui, c’est l’artiste-entrepreneur qui parle. On ne me l’a jamais appris, c’est dans mon sang, en tant que fils d’indépendants. Et je me suis toujours entouré de personnes disposant de bonnes connaissances en économie et en finance. Cet esprit entrepreneurial est nécessaire, même pour un artiste. Je connais des artistes talentueux dont les partitions moisissent dans les caves des conservatoires. Au mieux, elles sont numérisées, mais cela s’arrête là. C’est horrible. Les pouvoirs publics pourraient jouer un rôle à cet égard. Mais au final, c’est à l’artiste de prendre les choses en main. »

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Une fondation pour les jeunes compositeurs

Le deuxième pilier de son héritage est la création d’une fondation. Pour cela, il a collaboré avec l’équipe Estate Planning de Delen Private Bank. Cette fondation aidera 
les jeunes compositeurs à préserver leur musique, afin que leur voix ne tombe pas non plus dans l’oubli.

« Ce n’est pas évident de bien organiser sa succession sous l’angle artistique », confie Dirk Brossé. « Même lorsqu’on a des enfants, rien ne garantit qu’ils partagent la même passion. C’est pourquoi je veux transmettre à des professionnels. La Fondation Roi Baudouin me semble appropriée, car elle dispose de spécialistes dans ce domaine. » 

Un nouvel écrin pour mille instruments

Et puis il y a cette impressionnante collection d’instruments que Dirk Brossé a constituée au fil de ses tournées. Elle compte un millier d’instruments, dont une centaine classés au patrimoine mondial. Eux aussi devront trouver un lieu approprié pour les accueillir. 

« Je les ai achetés pour les sons qu’ils renferment, ou pour leur valeur ethnique et esthétique. Je ne veux pas qu’ils finissent sur un marché aux puces après ma mort. J’aimerais beaucoup qu’ils restent en Belgique, mais les musées n’ont pas de place. J’explore donc les possibilités à l’étranger, notamment à Oman et au Metropolitan Museum à New York. » 

Ma musique est l’œuvre de ma vie. Je ne veux pas qu’elle disparaisse. 

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Les Champs-Élysées de la musique

Nous percevons une certaine urgence chez le compositeur. « Ma musique est l’œuvre de ma vie. J’ai beaucoup sacrifié pour mes compositions et je ne veux pas qu’elles disparaissent. La vie est fragile, ma famille en sait quelque chose. Je vieillis, et le monde change vite. Tant que je peux encore agir, je veux que tout soit en ordre. »

Comment aimerait-il qu’on se souvienne de lui ? « J’espère avoir une petite place sur les Champs-Élysées de la musique, entre Bach, Beethoven et tous les autres grands compositeurs. Que les gens s'arrêtent et prennent le temps d'écouter. Par exemple mon Sophia Violin Concerto. Ce serait merveilleux qu’une de mes œuvres – une seule – constitue un petit maillon dans la grande chaîne de l’histoire de la musique. Alors je serais un homme heureux. »