Bourse et économie

Le réveil du géant chinois

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Il aura fallu attendre trois ans pour que les Chinois puissent à nouveau fêter le Nouvel An en famille, sans restrictions sanitaires. Plus d’un milliard d’entre eux ont circulé à travers tout le pays pour célébrer la nouvelle année placée sous le signe du Lapin, symbole de paix et de sérénité selon le zodiaque chinois.

Reste à savoir si 2023 sera réellement une année empreinte de quiétude. Car des changements profonds se profilent à l’horizon, maintenant que le gouvernement a décidé d’abandonner radicalement sa politique stricte de gestion de la pandémie. Pékin met l’accent sur la croissance économique du pays et entend également rétablir ses relations diplomatiques et commerciales avec l’étranger. Avec des implications majeures non seulement pour la Chine, mais aussi pour l’Asie et l’Occident.

Du zéro covid à 100 % de liberté

En dépit de l’assouplissement des mesures sanitaires, le Nouvel An fut célébré assez sobrement, sans trop d’embrassades ni de feux d’artifice. Le pays souffre encore de la pandémie depuis que le gouvernement de Xi Jinping a abandonné sa politique zéro covid en décembre dernier. L’engorgement des hôpitaux et des morgues est le triste stigmate du manque de préparation à ce revirement soudain.

Le nombre de décès causés par le covid se compte en dizaines de milliers, un bilan particulièrement élevé. Pourquoi ? En partie en raison du faible taux de vaccination, notamment auprès des plus âgés, et de l’interdiction de recourir aux vaccins occidentaux beaucoup plus efficaces. Les plus aisés s’offrent le luxe d’aller se faire vacciner à l’étranger.

Le taux d’absentéisme élevé contraint les usines à fermer à nouveau, ce qui génère de nouveaux goulots d’étranglement sur les chaînes d’approvisionnement. La propagation fulgurante du virus présente néanmoins un avantage : l’immunité collective sera rapidement atteinte, d’ici la fin février ou mars. Et l’activité économique redémarrera alors sur les chapeaux de roue. La forte reprise des vols intérieurs, des trajets en métro et de la fréquentation des salles de cinéma constitue déjà le premier signe de ce redémarrage. La Chine apprend enfin à vivre avec le virus.

La combinaison d’une politique sanitaire stricte et d’un relâchement chaotique entrave sérieusement la croissance économique chinoise. Celle-ci s’est établie à 3 % en 2022, bien en-deçà de l’objectif de 5,5 % fixé par le gouvernement, mais aussi au niveau le plus bas sur les 40 dernières années (excepté 2020, année de la pandémie).

Croissance de l'économie chinoise (évolution annuelle du PIB réel)

Croissance économie chinoise

Source : FMI

Pour atteindre les quelque 5,5 % de croissance ambitionnés par le gouvernement chinois, la machine économique doit être relancée avec vigueur. Cette année sera une année de transition, les prévisions de croissance pour 2023 relèvent encore d’un optimisme prudent. Une reprise au premier trimestre est peu probable, car la pandémie pèsera encore sur la consommation, les commandes et les investissements. Mais l’économie chinoise devrait ensuite se redresser rapidement. Le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance de 5,2 %. Comment le gouvernement chinois va-t-il s’y prendre pour renouer avec un tel niveau de croissance ?

Focus sur la reprise économique

Xi Jinping, qui vient de cimenter son pouvoir à l’issue du XXe congrès du Parti communiste en octobre dernier, entend tourner la page de la pandémie et met tout en œuvre pour sortir l’économie chinoise du marasme.

L’émancipation de la classe moyenne et la consommation intérieure qui en découle restent un objectif majeur. Grâce à la suppression des confinements, les Chinois peuvent se remettre à dépenser après trois années d’épargne forcée. Depuis 2020, ils ont ainsi épargné la bagatelle de 4800 milliards de dollars. Les plus aisés ont certainement hâte de pouvoir voyager à nouveau ou de se faire plaisir dans les boutiques de luxe. Contrairement à l’Occident, l’inflation n’est pas un problème en Chine, et le pouvoir d’achat s’est globalement maintenu l’année dernière. Les Chinois ne doivent donc pas craindre d’augmentations immédiates des taux d’intérêt. Au contraire, la Banque populaire de Chine maintient une politique de taux très accommodante jusqu’à présent. Selon les analystes, l’injection de ces réserves d’épargne devrait faire croître la consommation de l’ordre de 8 % en 2023. Avec une contribution de près de 80 %, la consommation constitue de loin le principal moteur de la croissance chinoise.

L’assainissement du secteur immobilier constitue le deuxième catalyseur de croissance. Un secteur immobilier sain est essentiel pour relancer la production et doper les revenus des ménages chinois, car il représente 80 % de leur patrimoine global. La crise immobilière entaille donc sévèrement ce dernier. La chute des prix de l’immobilier s’est même accélérée en décembre, le nombre de nouvelles constructions a plongé, et les ventes de nouveaux biens sont toujours au point mort. De nombreux promoteurs immobiliers sont au bord de la faillite. S'ils achètent à crédit, les acheteurs sont dès lors réticents à payer les intérêts de leur emprunt hypothécaire pour un bien qui ne sera probablement jamais achevé. Le gouvernement est intervenu par le biais d’une série de mesures pour faciliter l’accès au financement. Il pourrait aussi baisser les taux des prêts hypothécaires ou assouplir les conditions en matière d’apport de fonds propres. Les banques – contrôlées par l’État – ont mis quelque 256 milliards de dollars de crédit à la disposition des promoteurs immobiliers.

Depuis 2020, les Chinois ont épargné la bagatelle de 4,8 milliards de dollars.

Beaucoup d’attentes reposent également sur le secteur de la technologie. Depuis plusieurs années, la Chine mise sur les technologies liées au climat, notamment les véhicules électriques, les énergies renouvelables et les infrastructures vertes. La Chine est ainsi leader dans le domaine des voitures électriques (62 % du marché mondial), des panneaux solaires (80 %), des éoliennes (55 %) et des batteries (56 %). En revanche, la Chine est aussi le plus grand pollueur au monde : ses émissions de CO2 sont le double de celles des États-Unis.

Parts de marché de la Chine dans la production de technologies climatiques

Part de marché de la Chine dans la production de technologies climatiques

Source : Les Cahiers Verts de l’Économie

Ces dernières années, le gouvernement s’est taillé une piètre réputation en matière de réglementation du secteur technologique. Ses mesures – portant sur d’autres secteurs tels le gaming ou les télécoms – ont engendré des sanctions et contraintes imposées par les États-Unis. En dépit de celles-ci, la technologie en Chine offre toutefois des perspectives intéressantes.

La Chine sort de son isolement ou the great reconnecting

Si la Chine veut devenir leader sur la scène mondiale, elle doit d’abord apprendre à se faire des amis. Le pays ne réalise aujourd’hui que trop bien l’importance de cette « reconnexion ». La crise en Ukraine a jeté un froid sur ses relations avec Moscou, et les responsables politiques chinois se tournent vers l’Europe. Ils se positionnent ainsi comme de potentiels négociateurs de paix et bienfaiteurs capables de reconstruire l’Ukraine après la guerre. Les dirigeants européens de l’Allemagne, de la France, de l’Italie et de l’Espagne mordent à l’hameçon, certes avec un certain scepticisme. La Chine resserre également les liens diplomatiques avec ses voisins tels le Japon, la Corée du Sud et le Vietnam. En revanche, ses relations avec les États-Unis restent très tendues, et ce, certainement sur le plan de la technologie.

En raison de la faiblesse particulière de la demande intérieure pendant la pandémie, la croissance de l’économie chinoise a essentiellement reposé sur les exportations, qui ont contribué à concurrence de 20 % dans le PIB chinois en 2021. Et en 2022, l’excédent commercial a atteint le chiffre record de 878 milliards de dollars. L’Europe constitue le principal partenaire commercial de la Chine. Et ce lien va probablement continuer à se renforcer dans les années à venir.

La reprise de la demande d’une superpuissance telle que la Chine aura des répercussions importantes sur les pays limitrophes, mais aussi sur le reste du monde. Parmi les plus évidentes, l’augmentation du nombre de touristes chinois, à nouveau autorisés à voyager et à s’offrir des produits de luxe en Occident. Un tel soutien vient à point pour les économies occidentales au bord de la récession.

L‘Occident est partagé quant au réveil de la Chine : il est propice pour la demande, mais constitue un risque pour l’inflation.

Cependant, ce retour soudain de consommateurs et producteurs enthousiastes n’est pas sans risque. L’explosion de la demande de matières premières entraînera une hausse considérable de leur prix, la Chine étant un gros client. À lui seul, le pays consomme près de 20 % du pétrole mondial, 50 % du cuivre, du nickel et du zinc, et 60 % du minerai de fer.

L’Occident éprouve donc des sentiments partagés quant au réveil du géant chinois : il constitue une excellente nouvelle pour la demande, mais il peut aussi devenir un obstacle pour les banques centrales qui cherchent résolument à juguler l’inflation sans tarder.

Euphorie sur les bourses chinoises

La volte-face du régime de Pékin vers davantage de croissance et de « reconnexion » avec le reste du monde met un terme à des années de galère économique et boursière, et fait ainsi place à l’euphorie. Le MSCI China est remonté de 40 % depuis son point le plus bas en octobre dernier.

Rallye sur la bourse chinoise (MSCI China en euro)

Rallye bourse chinoise

Source : Bloomberg

Les investisseurs semblent passer outre les problèmes temporaires causés par la réouverture soudaine de la Chine sur le plan matériel et humain, et espèrent une reprise rapide et spectaculaire de l’économie chinoise à partir du deuxième trimestre. Des secteurs tels le tourisme, les loisirs et les biens de luxe ont déjà bien profité du thème de la reprise chinoise.

Cette reprise est-elle déjà intégrée dans les cours de bourse actuels ? À première vue, les valorisations des actions chinoises semblent encore intéressantes, après le parcours déplorable du marché boursier chinois ces dernières années : depuis le début de 2021, le MSI China accusait un retard de quelque 30 % par rapport aux autres pays émergents. Si les valorisations chinoises parviennent à s’aligner sur le niveau moyen des cours de la zone émergente et que les bénéfices attendus des entreprises sont revus à la hausse, l’avenir des actions chinoises paraît alors prometteur.

Les valorisations des actions chinoises semblent à première vue encore assez intéressantes.

Pour tirer parti du boom chinois, Cadelam, gestionnaire de fonds du Groupe, investit directement dans des entreprises chinoises, mais cette exposition directe est toutefois assez limitée. En effet, Cadelam préfère jouer le thème de la reprise chinoise de manière indirecte, c’est-à-dire par le biais d’entreprises occidentales réalisant un chiffre d’affaires important en Chine, dans des secteurs classiques tels la production automobile, le luxe et les loisirs, mais aussi dans les assurances. L’exposition indirecte des portefeuilles à la Chine s’élève à 12 %.

Il convient néanmoins de rester attentif aux défis et aux risques liés à la Chine :

  • Le ralentissement de la croissance dans les pays occidentaux affecte les exportations essentielles à l’économie chinoise.
  • Les investisseurs se méfient de l’imprévisibilité de la politique de Xi Jinping dont les mesures s’avèrent parfois inefficaces. En témoigne la fuite de capitaux tant des investisseurs que des entreprises cherchant à installer leurs usines dans le pays.
  • Les problèmes persistants sur les chaînes d’approvisionnement ont également amené les entreprises à s’implanter dans d’autres pays. Les décideurs chinois tentent de rétablir de bonnes relations avec le monde extérieur pour rediriger les capitaux vers la Chine.
  • Le niveau d’endettement des entreprises et de l’État reste très élevé.
  • Les relations tendues entre la Chine et Taiwan pourraient se détériorer.
  • La démographie est en baisse pour la 1re fois depuis 60 ans, ce qui est défavorable à la production et à la consommation locales.

Outre le potentiel de reprise de l’économie chinoise, l’investisseur doit également intégrer ces risques tantôt provisoires, tantôt plus structurels.

Depuis début 2021, le MSCI China accusait un retard de 30 % par rapport aux autres pays émergents.

Conclusion : les risques et opportunités de la reprise de l’économie chinoise

La Chine émerge enfin, après trois années moroses de pandémie. La politique est à nouveau axée sur la croissance économique et sur le rapprochement – ou reconnecting – avec le reste du monde. Des incitants fiscaux et monétaires, des réglementations favorables et l’envie des Chinois de vivre à nouveau pleinement pourraient constituer les ingrédients du redémarrage chinois. Les investisseurs en actions chinoises ont réagi très positivement à cette perspective. La reprise en Chine est donc déjà partiellement intégrée dans les cours, mais il reste certainement des opportunités à saisir sans pour autant négliger les risques spécifiques à la Chine tels que l’impact – temporaire – de la crise sanitaire ainsi que la problématique structurelle de l’ingérence et du manque de transparence des autorités. Cadelam entend profiter du redémarrage économique en Chine principalement par le biais d’entreprises européennes qui y réalisent une partie importante de leurs activités.

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