
Guide pratique pour l’achat scindé d’un bien immobilier
- 28 août 2025
- Juridique
Vous souhaitez investir dans l’immobilier et vous voulez vous assurer en parallèle que vos enfants aient peu (ou pas) de droits de succession à payer sur ce bien à votre décès. Il peut alors être judicieux d’envisager un achat « scindé » du bien avec vos enfants. Ce type d’acquisition présente plusieurs avantages, mais mérite également une attention particulière. En effet, en l’absence de vigilance adéquate, elle peut impliquer des inconvénients de nature fiscale.
Lors d’une récente escapade à la côte ou dans les Ardennes, vous avez peut-être eu un coup de cœur pour une belle maison ou un chouette appartement. Vous envisagez ainsi de l’acquérir, mais vous ne voulez pas non plus que cet achat vienne augmenter la pression successorale sur votre patrimoine (immobilier) existant. De même, un achat du bien au nom de vos enfants n’est pas non plus envisageable si, un jour, vous deviez l’occuper, ou le mettre en location et en percevoir les loyers. Reste alors l’option de l’achat scindé qui implique que vous acquerriez l’usufruit du bien et que vos enfants acquièrent (ensemble) la nue-propriété.
Avantages et inconvénients de l’achat scindé
La technique de l’achat scindé offre plusieurs avantages. En tant qu’usufruitier, vous pouvez habiter le bien, ou le louer et en percevoir les loyers. Comme vous bénéficiez des revenus générés par ce bien et que vous en avez la jouissance, vous serez tenu de payer le précompte immobilier qui y est afférent et de déclarer ce bien dans votre déclaration à l’impôt des personnes physiques.
Cependant, ce type de structure peut présenter certains inconvénients. En effet, elle peut, à terme, conduire à des discussions ou des conflits avec vos enfants sur des questions, telles que la prise en charge de certains travaux et frais d’entretien. En principe, l’usufruitier assume l’entretien périodique du bien (nettoyage, entretien du jardin, etc.), tandis que les réparations plus lourdes affectant la structure (remplacement d’un ascenseur, rénovation de la toiture, etc.) doivent faire l’objet d’accords clairs entre l’usufruitier et le nu-propriétaire1.
En outre, lors d’un achat scindé, vos enfants doivent garder à l’esprit qu’ils pourraient perdre certains avantages fiscaux en cas d’acquisition ultérieure d’un logement propre. Il est donc primordial de se renseigner au préalable.
Par ailleurs, il est important de préciser que l’accord de tous vos enfants sera nécessaire si vous envisagez ensuite de vendre le bien acquis de manière scindée. Cela peut donc également être source de discussions supplémentaires. Certains notaires prévoient d’ailleurs dans l’acte d’achat une forme de "droit de suite", qui permet à l’usufruitier, s’il souhaite lui-même vendre le bien, d’imposer au nu-propriétaire de céder simultanément ses droits en nue-propriété.
En optant pour un achat scindé, vous anticipez la transmission d’un bien immobilier à vos enfants et tout en évitant les droits de succession. Toutefois, cette technique comporte aussi certaines limites.
Que se passe-t-il au décès de l’usufruitier ?
À votre décès, votre usufruit s’éteint et vos enfants, nus-propriétaires, en deviendront automatiquement pleins propriétaires sans que des droits de succession soient dus à cette occasion.
Cependant, si vous avez acquis l’usufruit d’une maison ou d’un appartement avec votre conjoint, vous pouvez stipuler dans l’acte d’achat2 qu’au décès de l’un des usufruitiers, son droit usufruit viendra "accroître" celui du conjoint survivant (qui devient ainsi usufruitier du bien tout entier). Cet accroissement d’usufruit n’est en principe pas imposable dans le chef du conjoint survivant, si vous avez acquis ce bien ensemble (et qu’il fait partie du patrimoine commun ou vous appartient en indivision).
En revanche, si vous avez acquis seul l’usufruit (et qu’il relève donc de votre patrimoine propre) tout en stipulant dans l’acte que cet usufruit reviendra à votre conjoint à votre décès, celui-ci devra en principe payer des droits de donation (progressifs) sur cette attribution de l’usufruit ("réversion"). Dans ces deux cas, vos enfants ne deviendront pleins propriétaires qu’au décès du conjoint survivant.
Vigilance nécessaire sur le plan fiscal
La technique de l’achat scindé exige en outre que chaque partie paie sa part. Concrètement, vous devez donc payer la valeur de l’usufruit et vos enfants, celle de la nue‑propriété. Néanmoins, le législateur3 présume que les parents paient l’intégralité du prix, en ce compris la part des enfants4 (nue‑propriété). Cette "fiction légale" conduit l’administration fiscale à considérer que le bien acquis de manière scindée fait partie de la succession de l’usufruitier au moment de son décès, et qu’il doit être intégralement soumis aux droits de succession.
Pour éviter cette situation, vous devez apporter la preuve que l’acquisition scindée ne comporte pas une "libéralité déguisée". À cette fin, vos enfants doivent pouvoir démontrer de façon cumulative, à votre décès, que :
1. Ils disposaient des moyens financiers suffisants pour payer leur part dans le prix d’achat (à savoir la valeur de la nue-propriété). Vos enfants devront veiller à conserver les éléments de preuve nécessaires, tels que des extraits de comptes ou relevés démontrant qu’ils disposaient des fonds sur leur compte au moment de l’acquisition. Une simple mention dans l’acte notarié attestant que les enfants ont acheté la nue-propriété avec leurs avoirs propres (sans éléments ou détails supplémentaires) ne peut constituer une preuve contraire : il s’agit d’une déclaration purement unilatérale qui ne peut être vérifiée de manière objective au moyen d’éléments probants.Si vos enfants ne disposent pas des fonds nécessaires pour acquérir leur part en nue-propriété, vous pouvez procéder préalablement à une donation du montant requis. La prudence est toutefois de mise. Pour renverser la présomption fiscale et éviter les droits de succession, la donation doit satisfaire à des conditions strictes qui varient en fonction de la région où vous êtes domicilié(e).
- En Région flamande, la donation des fonds doit intervenir avant la signature de l’acte authentique5. La date de la donation importe peu tant qu’elle est antérieure à celle de l’acte. Cette donation ne doit pas nécessairement être notariée. Elle peut également être réalisée sous seing privé (via don bancaire ou pacte adjoint), sans obligation d’enregistrement. Toutefois, si la donation n’est pas enregistrée, vous devrez survivre cinq ans à dater de celle-ci pour échapper aux droits de succession.
- En Région de Bruxelles-Capitale et en Wallonie, l’Administration fiscale est plus stricte. Ainsi, si un paiement (par exemple, un acompte, une garantie ou tout autre paiement) est prévu lors du compromis (ce qui est assez habituel), l’Administration fiscale exige que vous donniez à vos enfants l’intégralité du montant relatif à leur part en nue-propriété avant la signature du compromis6. Ce montant doit donc être versé sur le compte des enfants avant cette date. Cela vaut également lorsque la vente est conclue sous condition suspensive (par exemple, l’obtention d’un crédit). Si aucun acompte n’est dû au moment du compromis, la donation peut intervenir après la signature du compromis, mais nécessairement avant l’acte authentique. En Région de Bruxelles-Capitale et en Région wallonne également, une donation sous seing privé suffit et elle ne doit pas obligatoirement être enregistrée. À défaut d’enregistrement, aucun droit de succession ne sera dû si vous ne décédez pas dans les cinq ans7 qui suivent la donation.
Notez toutefois bien que c’est le domicile fiscal de l’usufruitier au moment de son décès qui détermine les règles régionales applicables et non le lieu de résidence au moment de l’achat. Ainsi, si vous étiez domicilié à Anvers (Région flamande) lors de l’achat, mais avez vécu le plus longtemps à Waterloo (Région wallonne) dans les cinq années précédant votre décès, les règles plus strictes de la Région wallonne s’appliqueront. Comme précisé ci-dessus, s’ils veulent éviter de payer des droits de succession sur le bien acquis de manière scindée lors de votre décès, vos enfants devront démontrer qu’ils disposaient de la totalité du montant leur permettant de payer la nue-propriété avant la signature du compromis (ou tout autre acte sous seing privé). Mieux vaut donc anticiper tout éventuel déménagement vers une autre région et réaliser la donation avant la signature de tout document sous seing privé.
2. Ils ont effectivement utilisé ces moyens financiers pour l’achat du bien. Ils peuvent facilement apporter cette preuve grâce à des extraits de compte et des preuves de virement. Il faut donc les conserver précieusement (et les annexer à l’acte notarié si possible). Le notaire mentionnera dans l’acte les numéros de compte depuis lesquels l’/les usufruitier(s), d’une part, et le(s) nu(s) propriétaire(s), d’autre part, ont payé leurs parts respectives dans le prix d’achat. Ces mentions de faits d’un notaire dans l’exercice de sa fonction ont une valeur probante authentique.
3. La répartition du prix entre l’/les usufruitier(s) et le(s) nu(s)propriétaire(s) a été effectuée correctement. Vos enfants doivent donc démontrer que la valeur de la nue-propriété a été fixée de manière juste, en tenant compte de votre âge et de votre état de santé. Le notaire procédera à l’évaluation de l’usufruit et de la nue-propriété. Dans ce cadre, les tables de conversion du Code civil, telles que publiées chaque année au Moniteur belge, sont souvent utilisées. Si vous achetez l’usufruit à deux, on tiendra compte de l’âge du plus jeune usufruitier.
[3] Article 2.7.1.0.7 VCF (Région flamande) et article 9 du Code des droits de succession (Région de Bruxelles-Capitale et Région wallonne).
[4] La loi ne vise pas seulement vos enfants, mais plus généralement vos héritiers, vos légataires et certaines personnes interposées.
[5] Dans le cas d'une vente publique, la donation ne doit pas obligatoirement avoir lieu avant la passation de l'acte d'achat (il s'agit du procès-verbal d'adjudication), mais il suffit que la donation ait été effectuée au plus tard avant le paiement du prix (quittance de l'acte).
[6] Cette exigence est requise même si vous versez vous-même l’acompte, et que cette somme est ensuite déduite de votre part propre dans le prix de vente.
[7] La Région de Bruxelles-Capitale a prolongé la durée de la période suspecte de trois à cinq ans pour les donations non enregistrées de biens mobiliers réalisées après le 1er janvier 2026. Pour les donations effectuées avant cette date, la période suspecte est de trois ans.
Exemple
Supposons que votre conjoint et vous, respectivement âgés de 76 et 74 ans, achetiez un appartement d’une valeur de 400 000 euros avec vos trois enfants :
- La valeur de l’usufruit8 pour une femme de 74 ans est de 29,68 %, soit 400 000 × 29,68 % = 118 720 euros.
- La valeur de la nue-propriété équivaut donc à 400 000 euros – 118 720 euros = 281 280 euros.
La valeur de la nue‑propriété du bien est estimée à 281 280 euros. Il s’agit donc du montant que vos enfants devront payer pour l’acquérir. Si vous souhaitez leur faire donation de ce montant, il est essentiel que la donation soit réalisée avant la signature de l’acte authentique (Région flamande) ou avant tout paiement d’acompte (Région de Bruxelles-Capitale ou wallonne). À défaut, vos enfants seront toujours redevables des droits de succession au décès.
Notez que l’obligation de preuve ne concerne pas uniquement l’immeuble acquis qui serait encore dans votre patrimoine à votre décès. En effet, elle s’applique également si le bien a été vendu dans l’intervalle et que le produit de la vente a servi à réaliser un nouvel achat scindé, ou a été placé sur un compte titre en démembrement usufruit/nue‑propriété.

Et pour un achat scindé à l’étranger ?
Une acquisition scindée à l’étranger n’est pas toujours conseillée, puisqu’il faut tenir compte non seulement des règles belges, mais aussi de la législation étrangère. Dans de nombreux pays (comme la France ou l’Italie9), l’effet est le même que celui observé en Belgique. Ce n’est toutefois pas le cas partout. Ainsi, en Espagne, par exemple, le nu‑propriétaire sera redevable de droits d’enregistrement au décès de l’usufruitier de sorte qu’une donation pourrait être plus appropriée.
Chaque pays dispose de ses propres techniques de planification ; le cas échéant, il est conseillé de consulter un spécialiste local. Découvrez-en davantage dans notre publication précédente.
[8] Le notaire peut se baser sur d’autres tables de conversion.
[9] Compte tenu de la quasi-absence de droits de donation en Italie, la nue-propriété peut également être donnée à un moment ultérieur.
Dans le cadre d'un achat scindé, il est essentiel que vos enfants puissent prouver qu’ils financent la nue-propriété avec des fonds qu’ils détenaient au moment de l’acquisition.
Conservez soigneusement tous les justificatifs
Vous l’aurez compris, il est indispensable de démontrer tant l’origine que l’emploi des fonds, non seulement au moment de l’achat, mais aussi au moment du décès. Si vos enfants ne fournissent pas ces preuves (ou si elles sont insuffisantes), l’Administration fiscale présumera que le bien fait partie de votre succession en pleine propriété et ils seront alors redevables de droits de succession.
Gardez donc soigneusement tous les documents utiles (convention de preuve ou pacte adjoint, extraits de compte, etc.) et veillez à pouvoir en attester l’authenticité10. Delen Private Bank vous offre d’ailleurs la possibilité de sauvegarder ces documents en toute sécurité dans votre archive digitale dans l’application Delen. Vous pourrez ainsi les conserver en un seul endroit centralisé pour vos enfants.
Conclusion
L’achat scindé d’un bien peut être avantageux d’un point de vue juridique et fiscal, mais il exige une préparation et un suivi rigoureux. Le législateur présume en effet que vous avez payé la totalité du prix d’acquisition, y compris la part de vos enfants. L’application de cette présomption peut donc avoir comme conséquence que vos enfants devront s’acquitter de droits de succession sur le bien acquis de manière « scindée ». Afin d’éviter cette taxation, vous devez soigneusement conserver toutes les preuves nécessaires (relevés bancaires démontrant que chacun a payé sa part en usufruit ou en nue‑propriété, et, le cas échéant, la convention de donation).
Vous envisagez un achat scindé ? Discutez-en sans tarder avec votre notaire. N’hésitez pas non plus à contacter votre chargé(e) de relation si vous avez des questions ou souhaitez de plus amples informations.