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Dollar américain : repli temporaire ou durable ?

  • 28 août 2025
  • Bourse et économie

Au printemps, le dollar américain a connu l’un de ses plus grands reculs depuis des décennies, notamment face à l’euro. En effet, en avril dernier, le dollar a atteint son point le plus bas face à la devise européenne. Cela a suscité des interrogations chez les investisseurs et même alimenté les spéculations sur l’avenir du dollar comme monnaie de réserve mondiale. Pourtant, replacée dans un contexte plus large, cette évolution n’a rien d’inquiétant.

Il est indéniable que le dollar a été mis à rude épreuve durant la première moitié de 2025. L’indice du dollar américain (DXY), qui mesure la performance du dollar face à six grandes devises, a chuté d’environ 10,8 % depuis le début de l’année. Il s’agit de la plus forte baisse semestrielle depuis 1973, année de l’introduction des taux de change flottants. Les 2 et 3 avril ont marqué des points extrêmes : après l’annonce de nouveaux droits de douane par le président Trump lors du « Liberation Day », le DXY a perdu près de 3 % en seulement 24 heures. Toutefois, les raisons de cette chute ne se limitent pas à la politique tarifaire : elles résultent de la combinaison de facteurs complexes.

Une chute brutale après des sommets

Au dernier trimestre de 2024, le dollar avait particulièrement bien performé. L’engouement persistant pour l’intelligence artificielle et les solides bénéfices des géants de la tech avaient suscité une forte demande internationale pour les actions américaines du secteur technologique.

Après l’élection de Donald Trump en novembre, l’optimisme régnait également sur les marchés. Sa politique, centrée sur la croissance, les baisses d’impôts et le protectionnisme commercial, devait favoriser l’économie américaine.

Combinée à la faiblesse des marchés étrangers, cette dynamique a créé une forte demande de dollars. Le taux de change EUR/USD est ainsi passé d’environ 1,10 USD contre un euro en octobre 2024 à 1,03 en janvier 2025. Les prévisions du marché en début d’année tablaient même sur un renforcement supplémentaire, potentiellement sous la barre de 1,00 USD par euro.

Mais la politique économique agressive et imprévisible de Donald Trump, ainsi que l’incertitude qui en découle, ont changé la donne. L’optimisme a cédé la place à des prévisions pessimistes, et la confiance des investisseurs s’est érodée. Le dollar a subi un revers important lors du « Liberation Day », qui fut un moment charnière. La devise américaine a en effet brutalement dévissé début avril. Cette fluctuation significative du taux de change a effrayé les investisseurs, même si la tendance baissière s’était amorcée plus tôt dans l’année. L’incertitude persistante a ensuite continué de peser sur la devise.

Les taux de change fluctuent fortement chaque année

Évolution du taux de change EUR/USD

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Source : Bloomberg

Cependant, une analyse du taux de change EUR/USD sur une période plus longue montre que le dollar évolue toujours dans ses marges habituelles et selon des fluctuations conformes à la normale. Sur le long terme, ces mouvements à la hausse et à la baisse tendent à s’équilibrer de sorte que l’impact du dollar sur le rendement des investissements se limite généralement à un effet cumulé de +/- 5 % sur plusieurs années.

Le dollar était exceptionnellement fort début 2025, ce qui accentue la perception de la baisse. Pourtant, avec un taux de change actuel autour de 1,16 (1 EUR = 1,16 USD), le cours du dollar se situe à un niveau historiquement normal, voire élevé.

Taux d’intérêt élevés, devise faible : comment est-ce possible ?

Ce qui rend la récente baisse du dollar d’autant plus surprenante, c’est la réaction contre-intuitive de la devise à la politique monétaire de la Réserve fédérale américaine (Fed).

En 2024, la Fed a maintenu ses taux directeurs à un niveau élevé pour contenir l’inflation persistante aux États-Unis. À l’inverse, la Banque centrale européenne (BCE) a progressivement baissé ses taux pour soutenir la croissance en berne dans la zone euro, l’inflation ayant été ramenée au niveau cible de 2 % par an.

La Fed et la BCE suivent leur propre voie

Fed : Évolution de l’inflation et des taux d’intérêt

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  • Inflation
  • Prévisions d'inflation
  • Taux d'intérêt
  • Prévisions de taux d'intérêt

Source : U.S. Bureau of Labor Statistics, FED, Bloomberg

BCE : Évolution de l’inflation et des taux d’intérêt

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  • Inflation
  • Prévisions d'inflation
  • Taux d'intérêt
  • Prévisions de taux d'intérêt

Source : Eurostat, BCE, Bloomberg

Malgré la pression politique croissante de Donald Trump sur Jerome Powell afin que ce dernier procède à des baisses de taux pour soutenir l’économie et les exportations, la Fed a maintenu sa politique cette année encore. En principe, cela devrait renforcer le dollar : des taux plus élevés attirent les capitaux, augmentant la demande de dollars. Pourtant, ce printemps, c’est l’inverse qui s’est produit : le dollar s’est fortement affaibli.

Outre la baisse de confiance envers les États-Unis, un autre facteur peut expliquer cette faiblesse : la couverture du risque de change par les investisseurs étrangers. Investir dans des actifs américains expose en effet au risque qu’une baisse du dollar réduise le rendement dans la monnaie d’origine. Le coût de cette couverture – ou « hedging » – dépend de l’écart de taux d’intérêt à court terme. Ces taux ont fortement augmenté aux États-Unis depuis 2022, plus rapidement qu’en Europe notamment. Cela a rendu la couverture plus coûteuse, poussant de nombreux investisseurs à y renoncer partiellement ou totalement. Mais lorsque le dollar s’est fortement et soudainement affaibli au printemps, ils furent malgré tout nombreux à vouloir couvrir le risque de change. Ce « hedging ex-post » (après que l’exposition au risque de change soit déjà effective), qui s’opère notamment via des produits dérivés tels que des swaps de change, a généré temporairement un afflux de dollars américains sur le marché et mis ainsi la devise davantage sous pression.

Fait notable : les plus fortes baisses du dollar ont été enregistrées pendant les séances boursières asiatiques, ce qui suggère que les investisseurs de cette région ont activement recouru à des couvertures de change. La hausse simultanée des obligations d’État américaines indique que l’affaiblissement du dollar à ce moment précis ne résultait pas de ventes massives d’actifs américains. Cela renforce l’idée que les récentes fluctuations du dollar ne sont pas uniquement dues à une perte de confiance, mais aussi à des mouvements techniques de marché liés à la gestion du risque de change.

Delen Private Bank ne couvre pas le risque de change, car cela engendrerait des coûts considérables à long terme. De plus, les actions constituent souvent une protection naturelle contre les fluctuations des taux de change : un dollar plus faible rend les produits américains plus compétitifs sur le marché de l’exportation, ce qui profite à la rentabilité des entreprises cotées en bourse. Autrement dit, les effets liés aux taux de change sont souvent partiellement compensés, avec un certain décalage, par les résultats des entreprises.

Le dollar reste la monnaie mondiale de référence

La forte dépréciation du dollar a suscité la question suivante : le « billet vert » pourrait-il perdre son statut de monnaie de réserve mondiale ? Cela semble très improbable. En effet, aucune autre devise ne peut rivaliser avec le rôle que joue le dollar américain dans l’économie mondiale, qu’il s’agisse du marché des changes, de l’endettement, des paiements ou des réserves de change.

Part des principales devises dans les transactions et flux financiers mondiaux

Comme les transactions sur les marchés des devises impliquent toujours deux devises, le volume total de ces échanges s’élève à 200 %.

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  • USD
  • EUR
  • YEN
  • CNY

Source : BCE

Le dollar est de loin la devise la plus échangée sur les marchés mondiaux. Selon la BCE, le dollar était impliqué dans près de 90 % des transactions de change réalisées en 2022 (sur la base de l’enquête d’avril 2022 de la BRI). L’euro arrive en deuxième position, avec une part de 30 à 35 %.

La majorité des dettes internationales actuelles – qu’il s’agisse d’obligations d’État ou d’entreprise – est toujours libellée en dollar américain. La devise reste également dominante dans les paiements mondiaux.

Les banques centrales du monde entier conservent encore la plus grande partie de leurs réserves en devises étrangères en dollars américains. D’après les données du FMI, cela représente environ 58 à 60 % des réserves mondiales, contre environ 20 % pour l’euro. Les autres devises, comme le yuan chinois (CNY), le yen japonais ou la livre sterling, restent loin derrière.

En d’autres termes, le dollar est et reste de loin la monnaie mondiale dominante. Bien que certains aient vu une opportunité pour l’euro, celui-ci doit se contenter de la deuxième place.

Quelle évolution pour le dollar au second semestre 2025 ?

Après sa forte baisse au premier semestre 2025, le dollar américain semble s’être stabilisé au début du second semestre. L’incertitude demeure toutefois élevée. L’économie américaine montre des signes de ralentissement, et l’augmentation de la dette publique suscite des doutes quant à la viabilité de la politique budgétaire des États-Unis. Cela affecte la confiance dans le dollar à long terme.

Par ailleurs, le marché continue d’anticiper des baisses de taux de la part de la Fed dans les mois à venir, malgré une pression inflationniste persistante. Cela pourrait réduire davantage l’écart de taux avec la zone euro et exercer une pression à la baisse supplémentaire sur le dollar. La position de Donald Trump ne joue pas en faveur de la devise : il considère un dollar faible comme un levier pour atteindre ses objectifs économiques – réduire le déficit commercial, renforcer l’industrie et alléger la dette publique.

Cependant, certains fondamentaux restent solides. Les États-Unis demeurent la première économie mondiale, avec de vastes marchés de capitaux liquides. De plus, le commerce et la finance à l’échelle internationale reposent sur le dollar. En raison de ces avantages structurels, les fluctuations sont souvent temporaires.

En début d’année, de nombreuses entreprises américaines ont souffert d’un dollar fort, qui réduisait la contre-valeur de leurs bénéfices réalisés à l’étranger dans leurs rapports financiers. Entretemps, un dollar plus faible a permis à une série d’entreprises de revoir leurs prévisions de bénéfices à la hausse. Pour les exportateurs européens, c’est l’inverse : un euro fort rend leurs produits plus chers en dehors de l’Europe, ce qui pourrait peser sur leurs marges bénéficiaires au second semestre.

Du côté européen, les mauvaises nouvelles se sont multipliées. L'accord commercial unilatéral, par lequel les États-Unis ont imposé des droits d'importation de 15 % sur les exportations européennes (sans contre-mesures de la part de l'Europe), a entamé la confiance dans l'économie européenne. En une semaine, l'euro a perdu près de 3 % de sa valeur, tombant à 1,142 USD, sa plus forte baisse en trois ans. Il s'est toutefois partiellement redressé après la publication de chiffres décevants sur l’emploi américain, qui ont affaibli le dollar de 1,5 % en l’espace d’une journée.

Ces événements montrent que le taux de change entre l’euro et le dollar est déterminé par les interactions dynamiques entre données économiques, politiques monétaires et commerciales, et évolutions géopolitiques de part et d’autre de l’Atlantique. Ce sont des devises flottantes, qui peuvent évoluer librement l’une par rapport à l’autre. Il est donc impossible de prédire l’évolution de l’EUR/USD avec précision.

Conclusion

La récente baisse du dollar américain a pu sembler brutale, mais elle s’inscrit principalement dans des mouvements de marché normaux, après que la devise américaine s'est fortement appréciée. Les fondamentaux restent solides : le dollar demeure au cœur du système financier mondial, sans alternative valable à l’horizon. Les facteurs techniques et les incertitudes temporaires ne doivent pas trop altérer une vue globale de la situation. En dépit des fluctuations actuelles, il convient avant tout de relativiser leur ampleur plutôt que de céder à la panique ou de (sur-)réagir dans la précipitation.

Les informations présentées dans cet article ne peuvent être considérées comme des conseils en investissement ou des analyses en matière d'investissement.
Tout investissement comporte des risques. Les performances passées ne sont pas un indicateur fiable des résultats futurs.

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